Traversée(s)

J'ai tenté de l'écrire dans ma lettre du dimanche.
J'ai tenté de l'écrire aujourd'hui à B.
Je l'aborde parfois avec mes amies.
Pourtant, cette traversée me semble si difficile à partager, avec un vocabulaire commun, des phrases construites et claires.
Comme je n'arrive pas moi-même à saisir, partager ces tourments est une montagne. Du colossal dans le colossal. Je n'ai jamais vécu épreuve aussi complexe, dans l'expérience même ou dans la façon d'en parler pour en être soulagée, accompagnée. En guérir.

J'ai essayé aujourd'hui d'accueillir le chagrin. D'accepter que ce soit si douloureux et compliqué à comprendre pour moi. De ne pas avoir les capacités pour expliquer.
Avec B., j'avais esquivé la possibilité de confier ces bagages ce week-end. J'ai fait de ces jours des heures à vivre vite et sans lien avec ce passé lointain et pourtant partout. J'occulte depuis des mois, n'en parle que brièvement et par extraits, alors continuer. J'ai nagé, pris l'air, vécu.
Puis ça a été plus... Pas une urgence soudaine, mais la logique peut-être, je ne sais pas. Je ne sais pas grand-chose dans tout ça. B. donc, sa voix et son air que je sais nettement quand il se fait du soucis et me tend les bras. S'il n'attendait pas de moi une intimité docile, je me suis sentie brutale de m'enfermer avec la tempête alors que : lui.
De mon long message, reste la certitude que ce n'est toujours pas ça. Que c'est incomplet, inexact, imprécis. B. est le messager et le veilleur, il sait le goût de mon ventre et ma voix de fatigue ou de rêve, et je ne parviens pourtant pas à atteindre le récit exact de cette plongée.
Peut-être que ce n'est pas nécessaire. Qu'il suffit de moi qui me repose contre lui et accepte sa main tendue, de quelques mots qui consolent, de doigts qui épousent, de respirer dans notre endroit planqué, de me savoir existant pleinement à ses yeux.
Peut-être. Je ne sais pas, ne sais rien de tout ça. Mais dans cet aspect, dans cette tentative de lui raconter, je n'ai peur de rien, et c'est un repos.

Dans mes questionnements, je me suis retrouvée à parler avec une autre généalogiste. De ces mots, ces indications, en ressort aussi qu'on ne comprend pas toujours sa propre démarche, et qu'avoir besoin d'un passé ou ne pas en avoir besoin, c'est dans les deux cas à entendre et recueillir. A respecter.
Je tente alors, de m'autoriser ces immersions et le chagrin, la peur de ne pas savoir refermer la porte, de me trouver face à tout ça sans méthode ni protocole, d'avoir besoin de plus ou de devoir me tourner vers ces deuils.

Les yeux embués.
Je prends la fin de cette journée que j'ai dû surmonter. Matinée compliquée, la pluie, puis mes courages. Aller nager, prendre l'air au parc. Envoyer un petit mot à cette amie, choisir une nouvelle lecture, proposer un verre demain, respirer et contempler mes mains.
Il reste bien tout ça, la vie entière. Le feu du printemps et la faim de peaux, les muscles éprouvés, le corps bon à rêver, nager courir manger jouir rire dormir, les espoirs des lendemains. 

J'ai nagé sous un ciel bleu réjouissant, j'ai nagé avec les muscles de mon dos courbaturés, mon souffle ample et mes rêveries. J'ai regardé le soleil marbrer le fond de la piscine. J'ai loué ma rigueur, ma discipline, dans ces heures de natation, d'exercices, de plongées anatomiques.
Peau déjà bronzée. Marques du maillot. Dans mes onglets Internet, d'autres palmes, des bonnets de bain sans une once de discrétion. Des exercices pour le crawl. Cercle vertueux, je me tourne vers la course, pratique un Pilates fait de rigueur et de précision, multiplie les entraînements divers comme on conjure de mauvais sorts
Et partout, ce qui fait survie.
Battements.
Mouvement.
J'ai recommencé à nager pour ne jamais lâcher le bord des heures. Pour la régularité dans l'enchaînement des longueurs, des respirations.
J'embrasse le ciel bleu en cherchant son reflet sous mes brasses.
Je tiens au chlore comme à une fiole d'antidote.

(sans titre)

Je dors si mal, je dors si mal, je me tiens à la veille, je tempête, emmêle mes cheveux à me tourner et me retourner, empêtre mes pieds dans les pans du jour fini, du jour que je retiens par la manche, une minute encore, une petite avant la mort.
Sois la main qui apaise et immobilise, lèche mon ventre et fais-y germer la paix d'une journée bien vécue, quittée repue et sans regrets. Laissons s'abreuver dans l'exact espace entre ta langue et ma peau les oiseaux de minuit, les rêveries sans féerie, le petit feu de tes doigts qui dévalent hanches, os et inventaire tatoué, peau brûlée, muscles éprouvés, nuage brûlé.
Caresse mon dos en une comptine, comme on apaiserait la rage d'un enfant des bois.
Embrasse mes paupières, cloue-les, borde-moi d'un foyer tiède.
Abandonne-moi au sommeil, fais-moi déesse d'un culte païen et obscène, nudité claire et rite obscur.
Laisse-moi dormir contre toi.
Emmêle mes doigts à tes poils, tes cils aux miens, dormons de la fièvre des fugueurs célestes.

Et comme ça

Sans trop croire en moi, sans m'aimer beaucoup plus, sans aimer ce que je fais beaucoup plus, sans grande confiance en mes talents, je me suis jetée là.

J'ai eu envie d'écrire à B. à midi, en terminant, un "Ça y est" joyeux et plein de détails, car lui qui cherche mon nom toutes ces années sans se voir, mon nom qu'il espère en librairie, lui qui croit en moi et m'aime comme ça, radicalement. Lui. Comment je peux parfois en douter... Il sait mes yeux brillants sans même me voir. De mon premier roman, je me suis imaginée lui en envoyer l'ISBN, glisser son prénom dans une genèse, quand le texte a tourné entre des mains expertes et volontaires. Il y a dans ces pages des choses que je lui dois, le job d'un personnage, emprunté à un de ses emplois d'étudiant. Je me souviens un matin quitter son appartement, lui tout frais, au boulot, zou, stylo entre les lèvres il me parle et me fait sourire. Il est dans une dimension plus intime et complexe de l'écriture, ailleurs aussi, dans ma vie pas brûlée. Il sait. Tout. Je lui laisse la surprise d'une visite ici ou dans mon terrier. J'ai mal au ventre de joie à l'idée de son enthousiasme.

J'ai fait des petits mots aux amies douces, changé d'avis, eu mal au ventre, leur dis dès qu'un nouveau message arrive. Elles sont ces amies qui crient de joie quand je formule que "J'aimerais bien faire...", m'écoutent avant même que je n'ouvre la bouche, envoient compliments et merveilles, enveloppent de mille prodiges. Souvent, je pense à la Mathilde enfant, adolescente, se sentant tellement loin. Si elle savait que de telles amies l'attendaient à la trentaine... Ceci dit, toujours en parallèle, je n'en reviens pas. Ces amies-là... Ces amies-là.

Je vais gagner de l'argent avec des mots de moi. Je lance une newsletter payante et oh, des gens s'y abonnent déjà. Ça s'appelle Tant qu'il nous reste des dimanches, ce sera mélancolique comme "Ça Cartoon" sur la 4, les beautés murmurées dans la nuit, l'odeur d'un cou inchangée, mes bras chlorés de loutre véloce, mes espoirs pour les lendemains. Ce sont des jours et leurs trésors, la poésie en laquelle on croit sans faille, puisque tant qu'il reste des dimanches...

Ces derniers jours, je nage dehors. J'écris des poèmes en pensant à cet éditeur. Je sens mes muscles et mon sang paître dans un avril si lent, nous sommes le 8 du mois, ressenti 72, et ce lundi a un goût de fond d'évier. Je me jette à l'air au moindre ciel bleu. J'ai mal à la tête puis je bois des orties. J'ai vu un chien géant, des plans de travail qui donnent envie de se faire déglinguer dessus et donc découvert le pouvoir érotique de Leroy Merlin. Ça va dans mon herbier d'effleurements rêvés, avec notamment mes envies d'être embrassée jusqu'au typhon dans le petit recoin au pied des escaliers et d'être voulue sur mon petit paillasson, endroit parfait où frissonner de désir, mal cachés des voisins. J'ai pris un bus qui secoue, une voiture de riches et un caddie bleu. J'ai acheté du pak choï et un bac à glaçons en forme de têtes de chat.

Ces derniers jours, je me tricote aussi du pouvoir indéfinissable du flirt poétique et de l'étreinte. J'espère parfois étoffer cette vingtaine, l'effusion estivale trop tôt bouclée, l'exploration inachevée, les audaces muselées, ce sans sérieux et plein de tendresse, à mille lieux des autres formes de parades. Un relevé topographique de la douceur. Son corps reste mystérieux, malgré les ébauches de débauches précédentes, a-t-il un soupir au bout des doigts, un grain de beauté entre les côtes, son souffle qui si je murmure que, quel feu naît si je guide ses doigts et sa langue, descend mes mains et, quel est le goût de sa peau, de sa clavicule.
J'aimerais dans la chaleur être contenue.
Je me demande comment font les pissenlits. A gigoter comme ça dans le vent, c'est à en oublier d'être né.


[J'ai eu ce fameux petit flottement à la publication de ce billet. Si il lit... Eh bien si il lit, déjà, quel honneur. Il m'a écrit un jour, "Je ne lis plus depuis toi", ça me fait encore rougir. Donc. Si il lit... Eh bien rien. C'est lui, puis moi, deux crapules aux frontières. A nos dernières heures dans ma cour, nos mots sur le sexe et nos yeux qui se cherchent, évaluent nos cils et les mots qui éclatent à nos lèvres. En refermant la porte, je l'ai entrevu se retourner, chercher à croiser mon regard. Je n'ai pas suspendu mon geste, il était pourtant là, son sourire, l'inclinaison de sa tête. Parfois, je suis une patate aux bras ballants. Écrire ça ici, malgré le fait que oui, il le lit peut-être, sûrement même, et c'est beau, car il est aussi là, son amour, et aussi sûr que ça, c'est relever mon regard de la poignée, trouver ses yeux et cet espace libre, ce désir, nous l'offrir comme une nouvelle marée, encore, s'encanailler dans un jeu sensuel sans danger, étreindre la possibilité des nuages brûlés. C'est lui donc, pas le PDG de Leroy Merlin, pardon monsieur mais c'est vrai que vos grosses planches là, bon sang, alors mes amies et moi sommes formelles, ça vient de l'épaisseur, du fait que laissées là en rayon sans rien, c'est prometteur, c'est... Pour ma part, j'ai une paillasse ridicule et froide aux fesses, super... Non, vraiment, osez une communication sur la libido, vous allez voir le chiffre d'affaires exploser, le nombre de visites, n'en parlons pas, agrandissez vos parkings)

Maintenant que mes règles se terminent, je m'interroge.
J'ai passé un tiers du mois de mars sous l'eau. A me sentir seule au monde puis ensevelie sous les gens, à cauchemarder, pleurer, être en colère, me sentir disparaître, me dire que ma vie est honteuse, que j'ai un problème, que je suis un problème, que B. ne m'aime pas, qu'on ne se reverra plus et mille autres choses illogiques s'engouffrant dans le moindre espace du flou pourtant salvateur en temps normal, que je suis pour mes amies aussi utiles qu'une planche à repasser les lacets et qu'elles n'ont pas besoin de moi, que je les fatigue à babiller et parler et rire et tomber alors qu'on s'aime au point de se faire un tatouage de gang sur la cuisse et traverser ensemble les horreurs, que les gens ne m'aiment pas mais me tolèrent, que je pourrais bien mourir car à quoi bon.
Avec un supplément insomnies, nausées, maux de tête, sueurs, crampes, douleurs, petits malaises.
Donc oui, je m'interroge, maintenant que je me retrouve, à rêver tranquille et me remettre, comment me tenir au jour ?
La médecine ne me propose que des choses qui ne me conviennent pas. Le soulagement chimique, j'en suis revenue. Il s'agit de rendre une patiente fonctionnelle, et pas existante. Effectivement, sous antidépresseurs, ça va mieux, mais tout simplement car je ne suis plus là. Je suis fonctionnelle, je travaille, ne meurs pas. Mais je n'existe pas. Et le reste du mois, ça va, je m'en sors très bien, je n'ai pas de symptômes dépressifs, je vis ma vie, je suis bien, alors pourquoi reprendre un traitement pareil. Il y a aussi la pilule, cocktail exquis dont on connait désormais les multiples bienfaits, mais outre l'envie plutôt moyenne de me bombarder d'hormones, je refuse de vivre de nouveau une sexualité où j'endosse la charge contraceptive. Je n'ai pas de partenaire régulier, pas voulu vivre de nouvelles séductions depuis le printemps dernier, lassée de ces échanges avec des inconnus qui attendent forcément des choses de moi, puis il y avait lui et la fugue plus jolie, le chemin planqué. Ces hommes, il me faut les rencontrer, les attirer, les écouter, les laisser m'évaluer, entrer dans ma vie et la juger, me pâmer, me faire douce, puis ne pas jouir, et surtout ne pas avoir de la tendresse dans du sexe sans attente, la fantaisie, la poésie des échanges, des entrevues. Ne pas être vue, être récréative. Bref, ciao Tinder, je n'y allais d'ailleurs pas pour me sentir séduisante mais pour me sentir normale, bon..., et donc non, pas la pilule, car quand j'étais dans ce schéma de relations, je m'accrochais à ça pour imposer le préservatif. A nos grands âges, ça n'allait toujours pas de soi. Dire que je ne prenais pas la pilule me faisait parfois passer pour une petite irresponsable (j'ai couché avec des prix Nobel, oui), mais ça rendait le préservatif obligatoire pour une autre raison que la fertilité permanente de l'homme. Je voulais un amant, pas un projet éducatif, ne tenais donc pas spécialement à remettre ma culotte avant de me lancer dans un discours de vilaine féministe éco-terroriste radicalisée. Et dans tout ça, dans ce contexte, on me dit "Vous ne voulez vraiment pas reprendre la pilule ?", lourd soupir et ordonnance déjà en main, puis rien, mon vide et chaque mois la peur de revivre ça.
Je ne suis pas la seule, une amie m'a dit qu'elle aussi, elle se faisait toujours avoir, avait envie de se foutre sous un train et réalisait ensuite que ses règles arrivaient.
Alors on s'y penche encore : comment me tenir au jour ?
J'ai dépensé 130 euros de produits pharmaceutiques pour trois cycles menstruels. Aucun remboursement possible, et ça ne compte bien sûr pas les lessives de protections hygiéniques lavables, les antidouleurs, les bocaux de soupe car plus la force de rien, les séances de natation que je me discipline à faire aussi pour ça, pour ces dix ou douze jours difficiles, presque invivables. Et ça ne chiffre pas, la douleur, l'impression de sombrer.
J'ai 33 ans et je dois apprendre à gérer ça seule car la science ne s'intéresse pas aux femmes. Ça ne fait que quelques années que les protections hygiéniques conventionnelles sont testées avec du vrai sang : avant que le syndrome prémenstruel soit géré et remboursé, j'ai le temps de souffrir encore un moment, et de gérer ça seule et sans beaucoup d'argent, ce qui élève encore le défi.
Me tenir au jour donc. Je réfléchis. Noter désormais plus scrupuleusement la phase lutéale et ce fumier de SPM. Dire à B. qu'il peut me souffler quand je vais mal que peut-être, les hormones, ça a déjà rendu deux moments ensemble pas super marrants. Me mettre des mémos ici et là. Tenir à jour mon traitement. Refaire une commande de comprimés. Regarder les effets. Surveiller mon cycle.
Mais voilà.
Comment se tenir au jour...
On n'aura pas de congés menstruels, aucun remboursement, mal partout, mais il faudra bien sourire au monsieur qui nous dévisage dans la rue, sinon il murmura "Mal baisée".
On aura le sang et le chagrin, mais faudra bien aller au travail, puis être polie et bien gentille, mal payée, bien taire la souffrance.
Comment se tenir au jour...
Je ne sais pas.
Je vais me tenir à celui-ci. Noter mes prochaines règles. Avaler des magies. Étendre mes serviettes sur la corde à linge. Entrer en convalescence.
Nager, me lover contre l'idée de mon corps qui vit. Me lover dans les strates de palpitations, de désirs, de muscles éprouvés et de soupirs éraillés. Me rassurer du simple fait que mon corps est parfois une souffrance sans remède mais connait aussi le repos, la caresse et l'orgasme. M'autoriser à écrire tout ça, journal de bord des débordements, tout ce quotidien précis qui me semble si trivial et sans poésie, car écrire c'est gagner, m'emparer, c'est ainsi rencontrer les cœurs et les corps, des identités abstraites et d'autres plus certaines, B. et ses compliments radicaux, des solitudes et des incompris. Cet amoureux passé m'a dit, "Tu pourrais écrire ta liste de courses que ce serait passionnant", alors écrire mon sang. Écrire, et être victorieuse des jours tombés. Nager donc, et écrire : je peux aussi garder pied en poussant simplement mes orteils contre le mur de la piscine, me propulser, encore et encore et encore, entre les lignes et les dactylographies. 

(Sans titre)

Et si tout passe, comme les nuages,
Ça passera la noyade devant le dénouement,
Les mains qui tortillent et torturent le petit tas d'heurts, midi brûle et pas de soleil.
Si tout passe, comme les nuages,
Je m'écris un refuge entre mes doigts, un endroit où pleurer laid, un endroit où tomber sur,
Je m'écris le hoquet de larmes et l'étourdissement.

J'ai désormais des préoccupations de nageuse.
Les ongles abîmés par le chlore, la peau desséchée, alors les huiles, les baumes et les prières. En pétrissant mon corps, je remarque. Les biceps dessinés, les cuisses musclées. Les épaules, droites.
Mes cheveux, en pleine transition vers un shampooing solide, sont de vagues colocataires. On pourra discuter quand ils auront fini leur caprice.
Il y a aussi mon historique YouTube qui analyse crawl et battements entre deux vidéos de Pilates et de yoga, celui de Google qui ne me répond pas sur la question de l'écran solaire pour nager dehors. Dans le doute, je vais rajouter une crème waterproof à mes affaires, quand le printemps viendra enfin. C'est toute une intendance, sac de sport à faire et défaire, linge qui sèche, cycle sans fin. J'ai acheté deux maillots de sportive et des serviettes en microfibre, j'ai une gourde avec des requins et des palmes roses.
Si je suis toujours la loutre la plus tatouée du bassin, je suis aussi celle qui attire les admirations en utilisant la douche froide. Je suis celle qui nage le plus longtemps et sans m'arrêter un instant, ça agace certains hommes, ceux qui doublent comme des cochons et font mumuse avec leurs montres connectées.
J'ai deux piscines maintenant, le bassin nordique un peu loin et celui couvert juste à côté. Je suis aussi en train de passer de deux heures hebdomadaires à trois, avec l'envie de passer à quatre, déjà.
Loutre véloce, toujours chlorée, souvent courbaturée.

Vivement que je me remette à la course à pied, histoire de diversifier l'inventaire de ma corde à linge.

"Se taire dans la lumière
c'est aussi beau
que de parler dans le noir"
Vieux poèmes de Vinau, la pluie, le sommeil, ma bouche au café et au silence, les sous que je compte, sécher une feuille et une moustache de chat pour ce paquet qui sera comme mon amour emballé, sécher mes épaules de la nuit, mes joues douces et mes joies simples, sécher l'hiver, prendre le printemps, faire rire l'enfant, espérer se taire dans la lumière et parler dans le noir, fermer les yeux dans la tendresse féroce, mordre aux étoiles d'une peau parce qu'on a trop mordu la poussière.

Nuage brûlé

Puis je me demande toujours, cet endroit de mon dos que je ne peux pas toucher, effleurer, imaginer,
Je me demande,
Il peut devenir à toi ?
Prends-moi le corps, le dos, cet endroit étrange près de ma vulve qui est doux comme un nuage brûlé, les encres diffuses et le son de mon plexus. Prends-moi comme on se secoue au soleil, prends mon cou et mon nombril et mes fesses et ma voix rauque. Comme une course dans la nuit, dessine rides et fossettes, rituels magiques et fourmis chaudes. Faisons du désordre, où commence une peau et où finit une dilution, et voilà, on y est, le dos jamais touché, effleuré, imaginé, il est à toi.

Je claque les draps, puis ma fatigue,
Coton frais et bouillotte chaude.
Je pianote mes doigts contre la nuit,
Ai faim d'une peau,
De bras,
D'un dos,
Du beau partout, solaire, f(l)ou et doux,
Un beau qui tient chaud,
Qui tient haut.
Je claque les draps, puis ma fatigue.
Le printemps arrive après la nuit.
Je nappe l'oreiller de mes cheveux, couve le feu, guette les fièvres et les soleils.
Le printemps arrive,
Déjà minuit.

Sainte-Soline a un an.
Le texto de B. aussi.
Il n'y a pas eu de samedi plus bouleversant et radicalement entre deux mondes de l'émotion que celui-ci.
Je me souviens, suivre les informations sur la manifestation, accepter une garde d'enfants le soir et devoir aller à Gifi, enfer et damnation, foule indélicate oppressante.
C'était vers 16 heures.
Numéro que je ne connais pas.
Moi dans la salle de bain.
L'inquiétude, un instant. M'attendre à tout. Mon père, mais en réalité, d'abord, effroi, un fachiste. Je suis alors dans des moments de terreur qu'on n'est pas censé connaitre, Jeune Garde, Oriflamme, néonazis, policiers. Quelques jours avant, une longue liste de militants de divers horizons avait été découverte dans des groupes de discussion de sympathisants d'extrême-droite. Je relis, cherche ma réponse.
Mais lui.
Vite, si vite, les larmes, sans savoir vraiment pourquoi. La peur de décevoir. Même appartement, même travail, d'autres joies, d'autres blessures. La peur de ne pas être comme il faut. Je l'éprouve souvent. D'année en année, elle est toujours là, autour de mes acrobaties.
Arrangement d'horaires, beauté bien à nous du rendez-vous dans la nuit même, la tempête jusque dans le moindre nuage liquoreux au-dessus de mon sommeil, de mes précautions.
Je n'aimerai pas son jeu à nos au revoir. S'enlacer comme si ce n'était que moi qui le voulais. Sa voix qui claque, "Tu vas te retourner là" et sa silhouette qui s'échappe entre les voitures garées avec un cri victorieux.
J'aimerai les prochains. Les saisons qui défilent et l'appétit qui reste, l'impression d'avoir vingt ans et tout à goûter. Séduction sans piège. Joues timides juvéniles. Mots qui font monde à part. Et les corps, oui, enlacés, bien sûr. Si c'était à refaire, ce serait ça dès les derniers pas l'un vers l'autre. On n'a pas le temps pour être autre chose que tendres, plus le temps pour les relations distantes et médiocres. Vingt ans mais les dents ébréchées, on ne retourne plus dans les fossés boueux.

A Sainte-Soline, un projectile a été lancé chaque seconde par les forces de l'ordre, pendant 1 heure 30. C'est une expérience de la colère collective, radicale. Un feu qui met en mouvement. C'est sans retour, et c'est là que se dessine une similitude avec ce bouleversement, avec lui qui me touche dans un intime que je ne me savais pas. C'est vivant, brouillon et remuant. J'ai finalement eu assez peu dans la vie, et j'ai malgré tout subi quelques pillages, alors je tiens à cette tendresse qui fait trésor et battements rares, patine d'émotions subtiles mes angles, mes arrêtes, mes rigidités, mes ombres. Si je sens parfois mes limites misent à l'épreuve, je m'oblige à m'extraire, exercer mes apprentissages et mes propres magies. Ce n'est pas évident, je me suis vue plusieurs fois chercher le protocole pour des adieux jusque sur Google. Mais ça vaut le coup. Me tenir contre cet autre, en être aimée, cesser les fugues et les contorsions.
Ainsi se caressent les équilibres et
se tiennent chaud,
se tiennent beau,
les flamboyants. 

Je suis dans un temps de mon corps où il faut que je sois précautionneuse. Si je sens mes mouvements moins entravés, l'inflammation autour de ma colonne presque disparue, de petites alarmes tirent dans mes muscles à certains mouvements.
Pourtant, il y a une beauté dans ces espaces autour du mouvement. Sur mon tapis, le Pilates plein de conscience. A la piscine, les longueurs où le souffle se libère. Mesurer l'engagement de mes cuisses, soutenir mon dos de mes abdos, tenir mon corps haut et fort.
Mon pyjama sent encore la gaulthérie, mes épaules la compensation par des angles étranges.
J'ai pu cuisiner des choses secondaires, muffins épicés, journée paresseuse et ciel bleu béni.
Je prends un nouveau rendez-vous avec mon maillot de bain rayé, demain, l'heure tranquille dans la piscine moins fréquentée.
Et je me remercie, de nager, plonger sous les vagues et remonter d'un coup de talon, même quand ça fait vriller une douleur dans ma fesse, de couler sous la douleur sans abandonner les brasses énergiques.

Et ce qui couvait entre les migraines et les insomnies explosa.
Dos figé bloqué crispé jusqu'à la nausée jusqu'aux larmes jusqu'aux jambes.
Lui écrire et avouer que là, dans ces jours, j'ai besoin de lui. C'est stupide, de tout faire pour envelopper et soutenir, être "la plus gentille du monde" qui prend soin et caresse, mais avoir toujours cette armure qui empêche de dire que là, là, il faut la tendresse comme un sauvetage, un endroit où être couvée. Ça fait ça, l'enfance qui se passe mal et les hommes qui détruisent. Ça fait ravaler la boue hurlante et faire comme si, mais j'ai grandi et guéri, et "Je veux bien un câlin".

Je manque de pleurer en descendant des escaliers.
Quelqu'un passe vite et je m'imagine lui demander de l'aide, son bras pour marcher plus facilement.
Je me tiens un instant à une poubelle, ne peux pas caresser un chien mignon.
Je transpire, sens la douleur jusque sous mes dents.
Le numéro de SOS Médecins, au cas où, vraiment, et mes chaussures aux pieds parce que je ne peux pas me baisser.
Je me tiens à un livre que je ne lis pas, je joue à un jeu de société avec l'enfant en me concentrant pour ne pas pleurer.
Avaler ma salive est un effort.
Je pense au gros colis demain, à la séance de natation que je vais devoir aménager, passant de l'entraînement digne d'une loutre véloce à une rééducation de labrador accidenté. Je rentre très difficilement, pleure sur le perron mais suis soulagée d'être dans mon petit endroit heureux. Nausées de la douleur, dîner malgré tout mais pas très bien, triste carotte brossée dans l'évier. Le chocolat offert par J. sauve un peu. Je lis des mots gentils. Je compte les heures. 

Et je me promets de ne plus compter que sur moi, d'arrêter de tout porter et endurer seule. Il s'agirait de prendre de la gaulthérie et de se laisser être aimée. 

3 heures, puis 4

3 heures 27, je me réveille parce que j'ai chaud. Le printemps, donc. J'essaie d'évaluer mon mal de tête, que mon correcteur traduit en "mal de terre", le mignon. Je pense à la lave en fusion, me dis que si elle fait elle aussi 3000 degrés, comme mes jambes sous la couette, ça doit être des scientifiques qui ont décidé ça au pifomètre. Je ne suis pas certaine qu'il existe un outil aussi performant pour évaluer cette température, donc il y a forcément un type qui a dit "Mets 3000 degrés dans le rapport Pierrick, ça va faire bien", le cul sur la roche à flanc de volcan, avec un petit sandwich aux crudités et de la crème solaire sur le nez.
Je vérifie. Entre 700 et 1200°C, la lave. Fillette, va...
Et sacré p'tit cul Pierrick, penché au-dessus de la lave, avec son acolyte qui le tient par la ceinture (pour faire des conneries pareilles, ils ont clairement des blessures d'enfance à régler, ça ce sont des petits garçons à qui on a trop dit "Attention !", depuis ils gigotent sur des volcans)(ceci dit, Pierrick, permets-moi, mais ta mère n'est pas responsable de tout non plus, trois jours de coma parce que tu es tombé du bidet, ça bouleverse. Pauvre mère... Une sainte-femme, Elisabeth. Appelle-la un peu plus, bon sang).

Insomnie donc, qui me fait penser à ce titre de Jazzy Bazz, comme à chaque fois, et donc au couplet d'Esso Luxueux. Après "Rouler la nuit", qui me donne bien sûr envie de conduire dans une ville déserte car je suis une femme à la poésie simple, "Insomnie" me donne envie de boire un café dans un kebab, car je suis aussi sensible aux magies douces, aux évocations naissant d'un rien, peut-être pour certains simplement une originale, une bizarre. Comme Pierrick. 



500mg, 1g, codéine et chat tigré


Et toujours, cette comme migraine.
Elle me réveille la nuit, me lever prendre un comprimé est une épreuve. Je passe mes journées dans un silence relatif, tente la douche froide, le café sucré, la sieste. Je prends l'air dans la cour, parviens à lire un peu, mais le blanc de la page me cogne les yeux. J'embrasse mille fois le chat qui ondule sur la table et m'aime si doux, surprends un oiseau et ses plans de maçonnerie (cette feuille est un choix, il en arrachait d'autres avant, en rouspètant probablement, "Ni fait ni à faire ça... Roh, je vais faire cui-cui à l'autre patapouf, ça va lui faire plaisir. C'est con, un chat"). Je sens mes épaules bétonnées d'avoir porté la semaine pas très marrante, pleines de petites entraves sans gravité mais sans soin pour mes rêveries, m'en fais l'impression tenace d'être parfaitement inadaptée à la vie. Pourtant, ça va, c'est presque indécent. Je cuisine un peu. Je tends et détends mon corps sur le tapis de yoga, surprends le regard gentil de Verlaine dans le canapé. Ça me fait penser à B., le lui écris. 
Je me couche dans des draps propres, nouveau comprimé. Je devrais boire de l'eau, plein, mais ensuite les réveils, et la migraine, et le cercle. Je me dis que demain, ça ira mieux. Il y a des cookies chocolat-orange, puis le chat sous l'édredon. Le printemps à surveiller, le prunier japonais perd ses fleurs et trouve ses feuilles. Les piles de livres et les tendresses qui font refuge, le soleil qui viendra bien un jour. Ça fait un cap, la beauté, le seul que je garde.

J'ai une petite liste de rêves qui n'en sont pas. Ce sont des comptines, peut-être, des rêveries tranquilles.
Je rêve d'aller tout au bout de la Bretagne, et donc du continent. D'aller au Mont-Saint-Michel, la première expédition enfant avait été ruinée par la violence de mon père. D'aller dormir dans un endroit très vert. De voir un loup, il revient en Bretagne, a été aperçu au printemps dernier. Ça me rappelle ce matin où j'ai vu un renard. J'allais au travail. 5 heures 30, devant la déchetterie. La petite course caractéristique, la queue touffue. Il s'arrête et se retourne en m'entendant. On se regarde. Vingt mètres nous séparent. Il repart, au pas. Mon cœur se serre encore de la beauté inouïe de cet instant. Je me suis sentie comprise. Acceptée.
Je rêve de regarder un film contre une épaule, ou de lire dans un canapé pas à moi. C'est costaud, de devoir tout faire seule. Parfois, j'aimerais qu'on me fasse un endroit où me reposer, des danses sur le bras pendant que je m'endors doucement. Ce n'est pas une affaire d'amour romantique, c'est une affaire de tendresse et de repos. Les humains adultes et autonomes, seuls, il faut qu'on fasse des arrêts au stand, qu'on lève le pouce en réclamant une mi-temps. On gère des enfants, des emplois, des frigos à dégivrer, une planète en feu, une politique violente, des petites peines intimes qu'on sait à peine, on mérite des refuges. On mérite la respiration. La tendresse.
Voilà, je me promets de garder le cœur doux pour mes aimés choisis et choyés. D'être celle qui emballe des cadeaux juste comme ça et dévalise la Biocoop, de faire ce que je peux pour que penser à moi leur tienne beau.

Maintenant, je vais aller lire absolument tout ce que je trouve sur ce sacré loup breton, qui doit rejoindre le renard et la belette...

Brèves de rivages

• Je me glisse au lit le soir avec la saine fatigue des heures bien vécues. Je ris beaucoup et dors mieux chaque nuit.
Bientôt, il faudra enlever un plaid, puis un autre, et encore un autre. Août viendra, couette pliée dans le placard et mon corps nu sous le petit drap grésillera encore de la chaleur diurne. Mais pour le moment, Verlaine Ty Miaou est entre deux édredons, j'ai une bouillotte et un bâillement. 

• Je suis dans un petit recoin de la maison de quartier, sac de courses à mes pieds et cheveux fous bouclés des longueurs du midi. Je regarde les voitures.
Le printemps arrive et j'espère des ciels bleus, quelques heures dans une herbe verte. J'espère le déploiement, l'embrasement, l'exploration, de la vie qui se niche jusqu'aux entrailles, infuse mes eaux pour mille hivers.
Je crois que je flirte un peu avec lui.
Ça me fait sourire, de ne pas en être certaine, car ça dessine une affaire d'aisance joyeuse et de tendresse naturelles. C'est sans danger, rare et précieux, un flou paisible qui sent nos cotons tièdes, les mots bien tissés qu'on n'écrit à personne d'autre et les endroits du monde bien cachés, sans vocabulaire précis. Ne pas tenir aux mots pour signifier ce nous est un repos dans ces schémas binaires où il faut incarner, définir, déclarer et tenir haut.

• J'espère mon jeudi qu'à moi avec une avidité, un élan. Je rêve de la simplicité qu'il est, longueurs et lecture, petit marché et silence heureux. Le chat et moi, notre domaine. Le rendez-vous est pris : demain, nos comme fugue.
Je pense aussi à la mer, j'espère qu'elle va bien. Je me demande si mes brasses lui manquent autant qu'à moi. J'ai boudé du Pass Rail enterré, pensé à cet été où j'ai, presque chaque matin, pris un train pour la rêverie malouine, solitaire sans ennui. 

 • Un hiver semble résister en moi, mains violettes et visage glacé, je n'arrive pas à me réchauffer.
Je lis Journal pauvre et y trouve une essence, un bouleversement. Frédérique Germanaud écrit n'avoir pas besoin de plus d'argent mais de temps, avec appétit, feu, élan vital. Elle consigne ce pas vers un rôle social dilué, une vie sans travail et dans une marginalité qui n'existe que parce que le modèle économique actuel force à la rentabilité de tout, même des loisirs. Le sport est une quête de performances, un talent un plan d'investissement. Lire cette conquête d'une vie à soi, et pour soi, était me sentir vue, comprise et portée. Emotion vive, joie enfantine même, de voir l'autrice se préparer pour une heure de natation dans une journée dont elle est la seule régisseuse, y découvrir des points communs avec ma propre journée d'alors, ma propre vie. Comme elle, avoir souvent envie d'acheter un livre lu avidement pour le conserver à mes côtés, et donc ici son journal. Quatorze euros, belle édition qui sent la lenteur.

• J'ai été d'une étourderie qui fait perdre bêtement du temps. Pourtant, dernières heures libres avant les longues journées de salariat. Deux gardes de chat pour ma tirelire.

• Dimanche de soleil, mais pas sortie. La veille, avoir eu envie de pleurer après la ville, moulue de bruits.
Cuisiner des choses délicieuses, tenir un peu le terrier avant la semaine ouvrée, et le chat dans mes bras.
Je jette des graines dans le bac de terre dehors.
Je somnole.
Je termine le livre offert par B., souri de la lecture puis de lui.
Je lave mes cheveux à grandes eaux.
Dimanche soir au goût de veille d'école, nœud dans le ventre, le coyote perd toujours contre Bip-Bip sur la 4 et ça sent la tartine grillée dans la cuisine. 

Situer Turenne

C'était doux et drôle et beau. Deux corps qui tombent, du canapé et d'un bras chloré.
"On dirait une maison de poupée". J'aime être dans son esprit aussi mon terrier et le chat rayé.
Il en infuse un petit éclat précieux, et la bouteille de bière que j'oublie de descendre au recyclage.
Elle prend la pluie, ces averses qui indignent même les escargots.
Je cuisine, coupe des légumes et soupire un peu de la météo qui se joue de nous. Je célèbre et m'emballe au premier ciel bleu, tape dans des cailloux du bout du pied en boudant quand il s'éclipse en un bruyant naufrage breton.
Je garde ma piraterie dans un à peine lointain. Je n'ai pas rangé son petit dossier, il est juste là, sous une pile de livres. Je n'avais pas lu son adorable trait d'esprit sur la couverture, j'en ai souri le lendemain, comme quand j'ai réalisé qu'il comptait, sur le départ, les heures de sommeil futures.
Je cherche ce village algérien, il a été rebaptisé après l'indépendance, puis ce nom, découvre le Service Historique de la Défense. Je me demande, elle, comment. Je n'ai pas compté son âge. Je ne cherche pas mon chagrin. C'est une variation légère, quelque chose d'imperceptible. Je n'arrive pas à saisir comment j'appréhende ces flottements. J'occulte un peu. Si je m'y penche plus frontalement, ça me donne envie de pleurer. Mais ce n'est pas grave, j'en ai le droit, c'est si grand.

Mais je ne tombe pas, je tiens trop à la magie simple, puis j'ai des choses importantes à faire. Aimer, cuisiner, nager, chérir, faire rire, lire, écrire, rêver, me lover, enlacer. 

Chronique du chlore

L'odeur du chlore reste longtemps sur ma peau, malgré le savon et les potions, les heures qui passent. J'ai nagé ce midi en savourant mon épaule débloquée, l'absence inédit du mal de tête quotidien jusque là. J'étais hypnotisée par l'exacte impulsion de mes bras me propulsant sous l'eau, amplitude fascinante et mouvement rassurant. Je suis rentrée avec la faim, puis j'ai passé le reste de mon jour avec le sommeil.
Je veille sur le prochain jour d'eau, longue session de piscine vide.
Je veille aussi sur moi, sur le chat qui dort en long contre mon ventre, la nuit qui caresse nos paupières et le silence qui brode nos jours.
Je passe des heures tranquilles et des nuits pleines de pas chassés.
Je nage pour me sauver de la moindre goutte, de la plus petite tempête. Je nage et tiens en respect les baïnes.

(sans titre)

On cache dans nos mains le chant des oiseaux rares
On le siffle dans le creux de nos paumes
Petite prière secrète des temps glacés

Plongeons

A chaque fois que je me penche un instant sur tout ça, l'arbre, les racines, leurs encres sur moi, je rêve la nuit, en petits détricots, cris et angoisses étranges, parfois sang.
C'est donc peut-être ça, les murs qui se rapprochent. Sommeil habité, route sinueuse jusqu'au matin. Parler avec J., le consigner ici, c'était comme le souffle du sable dans l'eau.

Je file nager dans le jour gris. 
Corps fort et courbaturé, la loutre la plus tatouée du bassin. 
La fatigue se tient gravée sous mes yeux, dans les soupirs que je dépose ici et là.
Malgré tout, malgré ce moment étrange, comme une marche lente vers une rambarde au-dessus d'un horizon impossible à voir, mes heures sont douces. J'écris depuis mon monticule de plaids, Verlaine Ty Miaou saute de son petit appartement pour venir contre moi et le thé à mes pieds s'effile dans l'air.
Je n'ai rien prévu de plus que ça, sentir le chlore et mes bras tendus.
Dormir un peu loin du verger.

Au bord

J'ai parlé à J. de ce tremblement qui rôde, de la généalogie, de l'impression d'être dans un entre-deux presque confortable. De m'approcher de l'issue. De ce que ça a soulevé en moi, de savoir par exemple qu'il y aura des adresses, alors qu'on a aussi Google Maps, Internet, et le feu des gouffres muselés tant d'années.
Je lui ai dit, les visages.
Je lui ai dit, "Et si il est vivant, est-ce qu'il m'aurait aimée ?"
On a partagé nos vagues. Elle aussi en vit, des branches qui tapent. On ne s'est pas dit de féeries, on se sait.
La nuit après notre conversation, j'ai fait des cauchemars. Bazar de train, long voyage. Puis comme ça, incompréhensible, mon chat adoré blessé, nez crotté de sang.
Je suis allée nager le midi, hantée. Petite envie de pleurer sur le tout aussi petit trajet. J'ai écouté mon cœur taper dans le couloir de nage, se pincer parfois des femmes enceintes, je tremblais jusque là dans mon sang.
Je ne sens pourtant pas de murs se refermer sur moi.
Je fais ma vie, mais je tourne autour de certaines questions. Je me suis même imaginée me planquer dans une rue, si, si... Si. Si je regarde, sur Google Maps, est-ce que c'est alimenter ma cavale, ce besoin qui m'effraie de vouloir plus plus plus plus ? Mais si je me l'interdis, est-ce que ça ne va pas absolument rien empêcher du vent ? Est-ce que savoir, c'est prendre le pouvoir sur tout ça ? Mais savoir quoi, puis ce tout n'est-il pas qu'illusoire, indéfinissable ? Et comment fermer la porte, guérir, ne pas me raconter d'autres scenarii ? Après, comment faire retomber le vent ? Puis elle, si elle est morte, alors,
Mais je fais ma vie.
Voilà.
Je sais déjà qu'il y aura lui, le messager tranquille et sa mine, en garde-fou avisé qui sait, mes grains de beauté et mes grains de pluie, bras enveloppants qui domptent le moindre nuage. Je sais que j'ai le couloir de nage, le chat adoré, mes amies douces et ces jours simples, qu'à moi, le temps de m'allonger en attendant la fin de l'orage, des bras où trembler du tonnerre, où renaître dans l'odeur d'une terre qu'à moi. D'une terre choisie.

Je n'ai jamais rien fait d'aussi grand.
D'aussi secret.
D'aussi radical.
Immense.

"C'est désagréable de grandir avec un trou dans son arbre. La désertion filiale est une lutte quotidienne, que seule la peur rend possible."
Diglee, dans Atteindre l'aube, phrase pêchée à la librairie. 

Le petit marché

J'ai un petit marché en bas de ma rue les jeudis après-midi. J'y ai des habitudes, et donc des comme copines, des ristournes et des cadeaux. F. me donne des recettes et moi je lui raconte des bricoles. Aujourd'hui, que mon neveu va sûrement devenir James Dean quand il aura quatre ans, puisqu'il a estimé que c'est l'âge auquel il aura le droit de jouer aux cartes, avoir un couteau et conduire la voiture. On a papoté sous la pluie bruyante, j'ai pris quelques petits trucs car j'ai encore un stock de légumes conséquent, mais je n'ai pas pu résister à un chou-fleur trop mignon et un panais qui se prenait pour un navet.
J'ai pris des pommes, en pensant à mon fidèle Verlaine Ty Miaou, qui adore se rouler sur le sac, vole même parfois un fruit pour jouer avec si j'ai le malheur de le poser sur la table basse. J'ai beau avoir demandé autour de moi, personne ne possède ce modèle de félin attiré par les Elstar.
J'ai pris la fin de l'averse, et ma faim de la sortie piscine conclue par un simple bol de soupe.
J'ai eu cette douleur à la cheville, brûlure d'après l'effort, entorse vielle de dix ans bientôt. Doucement sur le crawl. Un sourire en voyant mes cheveux bouclés en bazar planquer mes petits trous de terreurs elles aussi passées. Doucement sur les ciseaux.
Je suis rentrée, j'ai ramassé l'eucalyptus qui passe son temps à se jeter par terre à cause du vent, j'ai lu et mangé donc, en admirant ce jour et ce chou-fleur auquel il ne manque vraiment qu'un nœud pap' pour être le coquet de ces dames.

Pizarnik & gressins

Les dernières semaines sont un trajet plus facile.
J'envoie souvent à B. de la poésie, tricotées ou imprimées, comme un petit animal voyageur entre deux rives. Je l'enlace de mots tissés doux. Je découvre Pizarnik, certains vers sont un filet, un voile. Je les lis par longues rasades, émerveillée.
Je nage. Malgré mes cheveux tombés, mon exigence assassine envers moi, mon inconfort au milieu des gens, je nage. Ça me remplit d'une fierté enthousiaste. Je souris encore du moment où, un colis allant finalement être livré à 10 heures, j'ai soupiré rassurée de pouvoir aller à la piscine entre midi et deux.
Je cuisine. Si en pensant à ses visites dans mon terrier, les seules que je veux, propose et espère, j'ai acheté la moitié des références de La Fourche (la plus gentille du monde, qu'il a dit, et ça me conduit à avoir des gressins dans mon placard alors que ça ne me fait pas tellement rêver, les gressins), j'ai aussi basculé en me fournissant en, environ, suffisamment de kilos de légumineuses pour tenir un siège. Je pourrais me lancer dans la lecture de tous mes bouquins pas lus sans faire une seule fois les courses, tiens... Je ne sais pas depuis quand je suis végétarienne mais je sais que je n'ai jamais mangé autant de pois chiche. Ma nutritionniste, celle avec qui je détricote mes prisons, va soupirer son fameux "ah bah enfin !", une sacrée récompense. Et un sacré changement, les "Vous ne mangez pas assez", je ne sais plus quoi en faire, une assiette plus grande serait un enjoliveur docteur, calmez-vous.

Je fais du yoga chaque jour, et du sport, je lis et dors bien, je me promène et rêve doucement. Je compulse mes petits feux, ai envie et le vis.

Je ne sais pas si écrire tout ça est valable, ceci dit je crois peut-être que là, remontons quelques lignes, c'est cette "exigence assassine". Soudain et souriant souvenir de lui, toujours, et son appétit de lecteur-ami tendre. Écrire cette marche est un espoir, une potion. La sorcellerie d'une femme qui se fait seule. J'écris comme je surmonte, j'écris comme je m'étire, entre les poèmes que je lui tends par messages brouillons et lignes de nage où j'inspire et expire, inspire et expire, air et eau, air et eau...

(sans titre)

J'aime bien regarder les annonces de la librairie ésotérique. Les stages de tantrisme ont ma préférence : on ne sait déjà pas utiliser l'imprimante en bluetooth, et certains espèrent niquer en wifi.

Outre la scandaleuse et réductrice appropriation culturelle, je ne vois absolument pas l'intérêt de jouer à ne pas se toucher.
Du corps d'un homme, je veux tout. De la petite parcelle derrière l'oreille, si fine, au dos long comme une plage où me promener. Des soupirs aux gémissements étourdissants. Le désir est cette espèce de vague d'incendie, terrassant, vertigineux. Au creux de mon ventre, il lèche mon émoi, et je m'agrippe à lui dans une urgence, avec l'espoir d'être tenue si serrée que je glisse sous cette peau adorablement différente de la mienne. J'aime l'animalité du sexe, pas dans une sauvagerie que la pornographie singe sans dentelle, mais dans l'extinction des jugements critiques, dans l'abandon lumineux et confiant. 
J'aime le sexe pour ce qu'il est, et quand il est le prolongement de sentiments tendres et doux, précieux, c'est une célébration. Être amoureuse ne me manque pas, il ne s'agit pas du tout de ça. Ce qui me manque, c'est le chahut joyeux de corps de gens qui s'aiment bien, qui s'aiment beau et doux. Il y a tant de précaution et d'amour simple dans ces instants, à tenir quelqu'un contre soi et loin du monde. J'aime la maladresse des petites timidités, les balbutiements au bout des doigts car l'émotion vive, regarder des paupières se fermer sur un feu naissant, sentir un appétit se creuser au rythme des caresses, des baisers, des rires étouffés et des petits mots étranglés, la surprise de se libérer l'un et l'autre, de ne rien s'interdire, ni la jouissance bruyante, ni les mains qui guident en cajolant, le rire encore et la tendresse toujours. C'est une magie douce et poétique, une étreinte qui n'est pas un accident ou un essai. Elle a une existence pleine et solaire, mais on ne s'en interdit pas de nouvelles éclosions, refuge infusant entre quelques saisons. Tout ça, on y pense comme on pense à une belle histoire qui compte, car c'est ce que c'est. Du sexe qui n'est pas un marchandage, un contrat, une entente pour évaluer des sentiments ou terrasser une peur de la solitude. C'est, exactement.
Je n'ai pas fait l'amour avec quelqu'un de chouette depuis longtemps. Je n'ai jamais espéré de grand amour plein de à la vie et à la mort, mais là, je voudrais simplement des heures tranquilles de mots bus lentement et un embrasement, de tout ça faire une fête et une beauté. Qu'on prenne soin l'un de l'autre contre un foyer secret, qu'on réchauffe nos mains puis se fasse du thé, repus, enveloppés, adorés. 

(sans titre)

Il lisait beaucoup, accordait une importance exagérée aux mots alors que sa lecture était laborieuse. Il se promenait avec des livres qu'il coupait en deux avec une scie à bois en braillant que cette journée allait être le feu. Les livres coupés, c'était pour les glisser dans ses poches, et le feu c'était pour tenir bien droit dans ses jours, ses espadrilles fatiguées et son corps perclus de douleurs d'ouvrier mal payé.

Il buvait au petit bar des sirops à l'eau, il avait bien vu ce que ça donnait sur les copains, les alcools. Ils l'appelaient la sucrée, il faisait semblant de râler mais ça lui plaisait finalement bien, lui le tout séché par le temps. Le matin, il trouvait qu'il devenait de plus en plus gris. Il respirait ses bras pour essayer de surprendre une odeur de granit. Mais il ne trouvait que la poussière de Kafka, du vent d'ouest à la verveine et le fantôme de cette peau adorée. 

Incipit

J'ai vu des jours, ils étaient bleus, roses, oranges puis suie.


Je n'ai pas eu peur, j'ai juste fui.
Tout en bas en moi, il y a la dernière nuit, le dernier éclat, la

Ça commence comme ça.
Ça commence comme ça, ma folie.

Dans la marge d'un carnet d'heures

Je ne laisse pas n'importe qui entrer dans ma vie, ni même dans mon simple périmètre. Je me vois me replier quand, tant de petits détails, des voix fortes à cette impression d'être brusquée. Il y a certaines fuites dont je ne suis pas très fière. Je n'ai pas, plus, de potes, ce modèle de relations ne m'apporte aucune joie, je n'aime même pas le mot qui sonne comme un rot insolent. Il en reste un peu, de ces liens sans investissements, mais s'ils sont légers ils restent sûrs, stables. En marge de mon cœur bordé, il y a : 

Inventaire de ce qui reste, mon Pour Toujours, après cette tempête

les promenades - le thé dans le silence - lire longtemps - aimer fort - les repas simples faits de mes mains et mon temps - penser à la mer au bout de cette rue de Saint-Malo, après le trajet en train, mon mal au ventre de joie et ma course pour atteindre la plage - mes deux amies qui m'aiment comme ça, tatouage de gang et "on se sait" - le sport qui délie et me ramène - les livres partout, tout le temps, en faisant des crêpes ou en me lavant les dents, piles dangereuses comme hors de contrôle - B., le seul homme qui, le seul homme que, espace émouvant du monde et de la tendresse sans définitions, limites ou étiquettes, confiance aveugle jusqu'à son corps - les émissions de radio sur un poète chilien, les jardins partagés ou la politique - apprendre, de la fermentation du kombucha à la lessive au lierre - les magies douces - retrouver la piscine, calme de l'eau et mes bras forts, surmonter le complexe cuisant de cette chute de cheveux brutale - Verlaine Ty Miaou en ami doux, rieur et adoré, blagueur - des passions folles pour les courriers égarés, les maisons Bon Pasteur, les vies en marge, en vert et sans grabuge - savoir être seule - des lendemains qu'à moi.

Je suis de la race des cours d'eau tranquilles, des ombres filantes et du calme des feuilles après le vent.

(sans titre)

J'avais écrit un truc de cul.
Un truc coquin, doux et repu, un truc de cul heureux. Un truc qui donne chaud et rouge, un truc qui donne envie.
J'ai pensé à ces yeux qui pourraient les lire.
Ça ne m'a pas du tout gênée.
Alors j'ai tout effacé.


Garder mes virgules,

Peau à cartographier. 

(sans titre)

C'est
Deux corps étendus
Double page insolente de mots crus
De mots léchés
Mordillés.

C'est
L'arbre qui ploie sous la pluie
Les feuilles qui embrassent
La boue et les anges
En bottes de pluie, maman qui crie.

C'est
Un cou où respirer
Des mains à réchauffer
Un jour à baiser,
Avec un S pour les minots en ciré,
En un verbe licencieux pour les amants bien abrités.

Un jour

Je ne travaille pas les jeudis, c'est une nouveauté de septembre dernier, un incongru. Je ne m'y habitue pas tellement. Que faire de cette journée, comment l'habiter. 
J'ai lu en pyjama. Longtemps. 
Je suis allée au petit marché. Là, juste le temps de quelques légumes et d'un petit bout de pain.
J'ai voulu aller au Thabor, les mains dans les poches, mais je n'ai pu que remonter la rue, jusqu'à deux CRS devant un cordon et le parc fermé.
J'ai marché un peu dans la ville. Ça me plaît nettement moins que le vert boueux et les canards. Puis les pavés glissent, ça m'agace.
Je suis allée à la librairie en bas de mon terrier. J'ai noté des recueils de poésie. Ai soupiré en en trouvant certains très Yogi Tea et Développement Personnel. L'enfer.
J'ai voulu prendre un livre pour B., mais il n'était pas en stock. J'ai d'ailleurs pensé à ça, aux livres à rattraper. Doit-on rattraper nos passions, nos lectures, nos bouleversements. Il y a des livres dont j'aimerais lui parler, lui dire la consolation ou la joie qu'ils ont été, mais comment. Il y en a tant... Et comment se dire, les petites poésies, les banderilles, qui font les jours et ce qu'on est devenu. C'est une drôle d'expression, "rattraper le temps perdu". Je ne sais pas trop quoi en penser alors je reste juste là, dans notre bras de mer qu'à nous, j'apprends à être, sans réminiscences ni projections. Je pense à lui, à nous, puis son cou. Nos douze ans de livres, douze ans à vivre. En 2021 ou 2022, je voulais compter quelle distance j'avais parcouru avec mes lectures. J'ai délaissé le projet, puis je lis trop en pyjama pour voyager élégamment. 
J'ai fait du Pilates et du yoga. Pas dîné, un peu somnolé. Pris le canapé juste pour avoir le chat sur les genoux, un nouveau livre et une tasse de tisane de Noël.
Y a plus de saisons.
Et plus de jours chômés censés.

Schrödinger

J'écris comme on jardine, les pieds sur un chemin glissant et le dos courbé dans le labeur.
Mes jours se ressemblent pendant que je rassemble,
Ce que j'ai perdu ces derniers mois,
Ce que j'espère pour les prochains.
Je rêve un peu, rougis parfois, espère toujours.
Je sens mon corps reprendre une consistance, une force. Une fièvre.
Je range mes nuits, les ombres et ceuille le feu.
Je vis des interrogations généalogiques en miaulant, Schrödinger, yeux qui se perdent et gorge qui se noue une seconde, juste une. Il y a ce nom lu sur un avis de décès, novembre, 92 ans, est-ce possible, ce nom que je me suis imaginé lire à six ans sur la boîte aux lettres de l'immeuble, ce nom que je me persuade donc être le sien, pourtant : Schrödinger, laisser cet ami flou et précieux dénouer le grésillement des secrets poisseux.
J'ai envie de nourriture, de poèmes, d'une peau, de muscles tendus dans de longues foulées et de plus longues étreintes encore. De discussions qui s'étirent dans la nuit, de sexe heureux et tendre, de romans qui font miel et de phrases, mes phrases, à lier et délier et créer. D'un dîner avec ce tout petit trop de vin, celui qui rend les gestes lents et les joues roses, de la mer sur laquelle parier, gris-bleu ou bleu-vert ?, d'un baiser dans le couloir de l'immeuble, dans le petit recoin au pied des escaliers, je rentre le soir et pense à ça, j'y veux un baiser chaud, flou, sensuel et animal, tout en lèvres et langues et dents et gémissements étouffés contre la gorge, vêtements qu'on froisse, peau qu'on cherche, corps qu'on tient et voilà, je veux. 
Je vis,
M'étire et m'étends,
Sur le chemin et entre les fleurs,
Les jours,
Rien que mes heures.

Dimanche

Je paresse au lit, note des recettes avec de petits post-it à la couleur indélicate. J'ai dormi longtemps, sous mille épaisseurs et contre le chat bien appliqué (et moelleux). On fait une nouvelle sieste, après la soupe et avant les petits pas au parc.

J'y marche lentement, souris aux canards sur la pelouse et à ce petit randonneur tout neuf. Sa mère s'excuse d'avoir interrompu ma promenade, pourtant j'aurais pu pleurer des petites fossettes précieuses, du sourire lumineux et du coucou maladroit mais enthousiaste.
Je rentre boire du thé. Je suis toujours émerveillée qu'on puisse boire des choses aux noms de poèmes, de souvenirs à se faire. "La dame aux camélias", petits biscuits non identifiés et deux bonbons en regardant les moineaux sur le mur.
Je pense à lui dans une rêverie, embrasse le chat, fais du yoga. Je sens mes bras plus forts, et mon visage comme lissé par les ennuis que je dépose, la discipline que je m'applique.

J'ai fait un dimanche.
Je fais ma vie.

Pâtes dinos & canard endetté

J'ai mangé des pâtes en forme de dinosaures, écouté la radio et bâillé plein de fois. J'ai fait un tour de parc, je pensais au thé chaud à mon retour, le visage glacé et les yeux mouillés. Je touchais mes joues, mesurais l'effet tenseur de cette cryothérapie mais trouvais surtout que j'avais aussi froid aux doigts. J'ai demandé à un canard qui me suivait si il voulait qu'on aille jusqu'à la roseraie, mais je crois qu'il avait des trucs à faire sur la grande pelouse vu qu'il a bifurqué avant la basse-cour. Peut-être qu'il devait de l'argent à quelqu'un et évitait le secteur.
J'ai souri à un chien. Il avait l'air super pressé d'aller lire dans le buisson.
J'ai vu des hommes courir en legging, ça m'a fait penser à cet humoriste qui dit que ça peut foutre dans le décor, comme un coucher de soleil en voiture.
En ce moment, les coureurs m'énervent d'ailleurs. On vit dans une grande ville bien éclairée, mais ils courent le soir avec des lampes qui donnent le vertige, leur faisceau sautant sur le trottoir et dans les yeux. Je peste que ce sont des connards en Lycra et me sens aussi étourdie qu'une hirondelle qui débaroule dans une maison.
("Débarouler", c'est lyonnais)
Il paraît que j'ai un accent.
Et que le brocoli ça revient deux fois par an.
C'est ce que j'ai appris au petit marché du jeudi.
J'en suis rentrée avec des choses aussi engagées que du céleri-rave. J'ai mangé des pois chiches germés en me disant que c'était l'idée que je me faisais d'un spermatozoïde de diplodocus. 

Grosse journée.

Notes d'un soudain


• Le ciel bleu, le froid polaire et l'odeur de ce savon

Je pleure face à B., le vois à peine, n'arrive pas à garder sur mon corps à la dérive ses mains-berçeuses, sa chaleur dans mon brouillard. Mais on se quitte en se serrant dans la nuit de ma petite cour, se retrouve une douceur. Comme une joie balbutiante, une poésie légère. Je file au lit, me cache sous plein d'épaisseurs, frigorifiée. Je m'endors abrutie par les larmes.
Je passe le jour suivant à le surmonter. A tituber. Je cuisine une tarte délicieuse. Je prends l'air glacé et rentre boire le chocolat offert par C. Je fais du yoga. Je ne désespère pas. J'attends la fin de la tempête. Regarde les lumières au loin.
J'aurais aimé savoir m'abandonner plus facilement, laisser ses mains tracer tranquillement les contours de ma peine, puis ça aurait peut-être fait venir une joie intime comme on attire un chat vagabond. Mais j'ai la douleur sauvage qui hérisse le dos courbé au-dessus de la table basse, la bière salée et le soir humide, impose aux articulations crispées la distance dans une supplication, la réclusion sur le lino froid.
J'ai la douleur sauvage qui prend son temps.
Tant qu'elle ne prend pas le mien, je ne m'alarme pas.

• Les manies des moineaux, faire rire mes amies et être courageuse
Je me glisse dans ces notes après des jours sans avoir les mots. Je ne les avais pas depuis des mois ceci dit. Je posais des livres qui ne me disaient rien, n'écrivais pas. Puis me voilà qui tombe dans des lectures et rêve de petites phrases en marchant. Ça a été un pas sur mes terres, un soupir rassuré aussi. Ça coïncidait avec une lumière particulière dans mes heures, une légèreté notable juste sous mes côtes.
Je respire donc plus amplement depuis les dernières notes.
Je garde le cap et le menton levé, prends bien soin de moi et commence à me sentir mieux.
Je commence à me sentir mieux...
C'est immense et rieur, je suis scrupuleusement mes médecines et n'en reviens pas : je me retrouve enfin un peu. Je ne m'étais pas vraiment perdue, mais je ne me voyais pas. J'avais trop de choses à porter, beaucoup trop, c'est même fou ce que j'ai supporté ces derniers mois, évidemment l'anesthésie,  écritureconfiancefamilleaccidentdépressionintimitédoutesargentavenirpolitiquestatuteocialmaladiecorpsamourpasséviolencerêvesantésecretsliens, et en déposer a été un soulagement impossible à écrire. Presque trop grand pour mon cœur. Je pense souvent à sa mine, "Plus moi que toi", sur nos tiraillements des derniers mois. À ces mots, il y a eu comme un bruit de sac qui tombe lourdement sur le sol. Ça se liait à plein de petites failles, je ne pouvais en parler à personne, ne m'y autorisais pas. Mais soudain nos mots qui pansent, assument et assurent. J'avais jusque là l'impression d'avoir à porter une responsabilité injuste, et de devoir me faire à l'idée, passer à autre chose, vu que je n'arrivais pas à me décider à fuguer. Avoir été entendue et comprise, puis consolée des cailloux dans les genoux, a été un apaisement. Désormais me réchauffe le sentiment d'avoir rangé quelque chose, de sentir un nouvel élan. C'était permettre à tout ce que j'avais mis à mon chevet pour me réparer un peu d'œuvrer pleinement.
Comment avoir cru que mes efforts pouvaient me remettre d'aplomb alors que j'avais tout ça dans les bras. Comment avoir cru que ma discipline seule allait fonctionner. Je faisais de la marche, du sport, du yoga, de la méditation, surveillais ce que je mangeais, mon sommeil, prenais quelques gélules, avec mes bras plein de cartons.
Évidemment que c'était trop dur. Vaguement inutile.
C'était comme faire un marathon avec un frigo sur le dos. Pas foncièrement impossible. Mais immensément difficile.
Je commence à me sentir mieux.
Sonnez cloches, battez tambours,
Je commence à me sentir mieux.
Je ressens des joies. Écouter Diglee parler de littérature, me surprendre de l'envie urgente de lire son dernier texte, celui au titre qui me bouleverse, découvrir des livres qui me font envie et des sujets à explorer, me faire des tasses de ce thé que je bois par longues gorgées, sentir mon souffle qui s'apaise après le sport, cuisiner en écoutant la radio, marcher sous le ciel bleu, être drôle et gentille, rêver de la mer. Je ressens des joies et ne suis pas obligée de les traquer pour les identifier. Je n'ai pas besoin de les interroger pour savoir si elles percent mon plomb.
Évidemment que tout n'est pas facile, et ça le sera probablement jamais, c'est même d'une banalité confondante. Mais ça ne suscite qu'un "Et ?".
Je ressens des joies.
Je commence à me sentir mieux.
On est demain, ça y est.
Ça y est.

(sans titre)

C'est une maison silencieuse,
Peinture qui s'écaille sans formes à rêver.
Les plafonds sont tombés mille fois, hantés par des terreurs paresseuses.
Les volets ne bougent pas, le parquet ne craque plus,
Pourtant dehors, vent pluie secousses.
Ils réchauffent leurs doigts contre leurs bouches et les flancs des chiens,
Font l'amour pour de faux et les bébés pour de vrai,
Des bébés que le grémil fait crier,
Des nuages à la bouche.

(sans titre)

J'écris du domaine de l'éboulement.
Les jours sont une terre meuble et grasse mais rien ne s'y vit. C'est un espace flou, impalpable.
J'écris sans avoir les mots.
En ai-je déjà eu.
Je remets en doute mon ombre, pupille d'un territoire inconnu.
Je prends l'eau comme on s'habille pressé,
Tout d'un coup,
Jusqu'aux narines.