Sainte-Soline a un an.
Le texto de B. aussi.
Il n'y a pas eu de samedi plus bouleversant et radicalement entre deux mondes de l'émotion que celui-ci.
Je me souviens, suivre les informations sur la manifestation, accepter une garde d'enfants le soir et devoir aller à Gifi, enfer et damnation, foule indélicate oppressante.
C'était vers 16 heures.
Numéro que je ne connais pas.
Moi dans la salle de bain.
L'inquiétude, un instant. M'attendre à tout. Mon père, mais en réalité, d'abord, effroi, un fachiste. Je suis alors dans des moments de terreur qu'on n'est pas censé connaitre, Jeune Garde, Oriflamme, néonazis, policiers. Quelques jours avant, une longue liste de militants de divers horizons avait été découverte dans des groupes de discussion de sympathisants d'extrême-droite. Je relis, cherche ma réponse.
Mais lui.
Vite, si vite, les larmes, sans savoir vraiment pourquoi. La peur de décevoir. Même appartement, même travail, d'autres joies, d'autres blessures. La peur de ne pas être comme il faut. Je l'éprouve souvent. D'année en année, elle est toujours là, autour de mes acrobaties.
Arrangement d'horaires, beauté bien à nous du rendez-vous dans la nuit même, la tempête jusque dans le moindre nuage liquoreux au-dessus de mon sommeil, de mes précautions.
Je n'aimerai pas son jeu à nos au revoir. S'enlacer comme si ce n'était que moi qui le voulais. Sa voix qui claque, "Tu vas te retourner là" et sa silhouette qui s'échappe entre les voitures garées avec un cri victorieux.
J'aimerai les prochains. Les saisons qui défilent et l'appétit qui reste, l'impression d'avoir vingt ans et tout à goûter. Séduction sans piège. Joues timides juvéniles. Mots qui font monde à part. Et les corps, oui, enlacés, bien sûr. Si c'était à refaire, ce serait ça dès les derniers pas l'un vers l'autre. On n'a pas le temps pour être autre chose que tendres, plus le temps pour les relations distantes et médiocres. Vingt ans mais les dents ébréchées, on ne retourne plus dans les fossés boueux.

A Sainte-Soline, un projectile a été lancé chaque seconde par les forces de l'ordre, pendant 1 heure 30. C'est une expérience de la colère collective, radicale. Un feu qui met en mouvement. C'est sans retour, et c'est là que se dessine une similitude avec ce bouleversement, avec lui qui me touche dans un intime que je ne me savais pas. C'est vivant, brouillon et remuant. J'ai finalement eu assez peu dans la vie, et j'ai malgré tout subi quelques pillages, alors je tiens à cette tendresse qui fait trésor et battements rares, patine d'émotions subtiles mes angles, mes arrêtes, mes rigidités, mes ombres. Si je sens parfois mes limites misent à l'épreuve, je m'oblige à m'extraire, exercer mes apprentissages et mes propres magies. Ce n'est pas évident, je me suis vue plusieurs fois chercher le protocole pour des adieux jusque sur Google. Mais ça vaut le coup. Me tenir contre cet autre, en être aimée, cesser les fugues et les contorsions.
Ainsi se caressent les équilibres et
se tiennent chaud,
se tiennent beau,
les flamboyants.