Situer Turenne

C'était doux et drôle et beau. Deux corps qui tombent, du canapé et d'un bras chloré.
"On dirait une maison de poupée". J'aime être dans son esprit aussi mon terrier et le chat rayé.
Il en infuse un petit éclat précieux, et la bouteille de bière que j'oublie de descendre au recyclage.
Elle prend la pluie, ces averses qui indignent même les escargots.
Je cuisine, coupe des légumes et soupire un peu de la météo qui se joue de nous. Je célèbre et m'emballe au premier ciel bleu, tape dans des cailloux du bout du pied en boudant quand il s'éclipse en un bruyant naufrage breton.
Je garde ma piraterie dans un à peine lointain. Je n'ai pas rangé son petit dossier, il est juste là, sous une pile de livres. Je n'avais pas lu son adorable trait d'esprit sur la couverture, j'en ai souri le lendemain, comme quand j'ai réalisé qu'il comptait, sur le départ, les heures de sommeil futures.
Je cherche ce village algérien, il a été rebaptisé après l'indépendance, puis ce nom, découvre le Service Historique de la Défense. Je me demande, elle, comment. Je n'ai pas compté son âge. Je ne cherche pas mon chagrin. C'est une variation légère, quelque chose d'imperceptible. Je n'arrive pas à saisir comment j'appréhende ces flottements. J'occulte un peu. Si je m'y penche plus frontalement, ça me donne envie de pleurer. Mais ce n'est pas grave, j'en ai le droit, c'est si grand.

Mais je ne tombe pas, je tiens trop à la magie simple, puis j'ai des choses importantes à faire. Aimer, cuisiner, nager, chérir, faire rire, lire, écrire, rêver, me lover, enlacer. 

Chronique du chlore

L'odeur du chlore reste longtemps sur ma peau, malgré le savon et les potions, les heures qui passent. J'ai nagé ce midi en savourant mon épaule débloquée, l'absence inédit du mal de tête quotidien jusque là. J'étais hypnotisée par l'exacte impulsion de mes bras me propulsant sous l'eau, amplitude fascinante et mouvement rassurant. Je suis rentrée avec la faim, puis j'ai passé le reste de mon jour avec le sommeil.
Je veille sur le prochain jour d'eau, longue session de piscine vide.
Je veille aussi sur moi, sur le chat qui dort en long contre mon ventre, la nuit qui caresse nos paupières et le silence qui brode nos jours.
Je passe des heures tranquilles et des nuits pleines de pas chassés.
Je nage pour me sauver de la moindre goutte, de la plus petite tempête. Je nage et tiens en respect les baïnes.

(sans titre)

On cache dans nos mains le chant des oiseaux rares
On le siffle dans le creux de nos paumes
Petite prière secrète des temps glacés

Plongeons

A chaque fois que je me penche un instant sur tout ça, l'arbre, les racines, leurs encres sur moi, je rêve la nuit, en petits détricots, cris et angoisses étranges, parfois sang.
C'est donc peut-être ça, les murs qui se rapprochent. Sommeil habité, route sinueuse jusqu'au matin. Parler avec J., le consigner ici, c'était comme le souffle du sable dans l'eau.

Je file nager dans le jour gris. 
Corps fort et courbaturé, la loutre la plus tatouée du bassin. 
La fatigue se tient gravée sous mes yeux, dans les soupirs que je dépose ici et là.
Malgré tout, malgré ce moment étrange, comme une marche lente vers une rambarde au-dessus d'un horizon impossible à voir, mes heures sont douces. J'écris depuis mon monticule de plaids, Verlaine Ty Miaou saute de son petit appartement pour venir contre moi et le thé à mes pieds s'effile dans l'air.
Je n'ai rien prévu de plus que ça, sentir le chlore et mes bras tendus.
Dormir un peu loin du verger.

Au bord

J'ai parlé à J. de ce tremblement qui rôde, de la généalogie, de l'impression d'être dans un entre-deux presque confortable. De m'approcher de l'issue. De ce que ça a soulevé en moi, de savoir par exemple qu'il y aura des adresses, alors qu'on a aussi Google Maps, Internet, et le feu des gouffres muselés tant d'années.
Je lui ai dit, les visages.
Je lui ai dit, "Et si il est vivant, est-ce qu'il m'aurait aimée ?"
On a partagé nos vagues. Elle aussi en vit, des branches qui tapent. On ne s'est pas dit de féeries, on se sait.
La nuit après notre conversation, j'ai fait des cauchemars. Bazar de train, long voyage. Puis comme ça, incompréhensible, mon chat adoré blessé, nez crotté de sang.
Je suis allée nager le midi, hantée. Petite envie de pleurer sur le tout aussi petit trajet. J'ai écouté mon cœur taper dans le couloir de nage, se pincer parfois des femmes enceintes, je tremblais jusque là dans mon sang.
Je ne sens pourtant pas de murs se refermer sur moi.
Je fais ma vie, mais je tourne autour de certaines questions. Je me suis même imaginée me planquer dans une rue, si, si... Si. Si je regarde, sur Google Maps, est-ce que c'est alimenter ma cavale, ce besoin qui m'effraie de vouloir plus plus plus plus ? Mais si je me l'interdis, est-ce que ça ne va pas absolument rien empêcher du vent ? Est-ce que savoir, c'est prendre le pouvoir sur tout ça ? Mais savoir quoi, puis ce tout n'est-il pas qu'illusoire, indéfinissable ? Et comment fermer la porte, guérir, ne pas me raconter d'autres scenarii ? Après, comment faire retomber le vent ? Puis elle, si elle est morte, alors,
Mais je fais ma vie.
Voilà.
Je sais déjà qu'il y aura lui, le messager tranquille et sa mine, en garde-fou avisé qui sait, mes grains de beauté et mes grains de pluie, bras enveloppants qui domptent le moindre nuage. Je sais que j'ai le couloir de nage, le chat adoré, mes amies douces et ces jours simples, qu'à moi, le temps de m'allonger en attendant la fin de l'orage, des bras où trembler du tonnerre, où renaître dans l'odeur d'une terre qu'à moi. D'une terre choisie.

Je n'ai jamais rien fait d'aussi grand.
D'aussi secret.
D'aussi radical.
Immense.

"C'est désagréable de grandir avec un trou dans son arbre. La désertion filiale est une lutte quotidienne, que seule la peur rend possible."
Diglee, dans Atteindre l'aube, phrase pêchée à la librairie. 

Le petit marché

J'ai un petit marché en bas de ma rue les jeudis après-midi. J'y ai des habitudes, et donc des comme copines, des ristournes et des cadeaux. F. me donne des recettes et moi je lui raconte des bricoles. Aujourd'hui, que mon neveu va sûrement devenir James Dean quand il aura quatre ans, puisqu'il a estimé que c'est l'âge auquel il aura le droit de jouer aux cartes, avoir un couteau et conduire la voiture. On a papoté sous la pluie bruyante, j'ai pris quelques petits trucs car j'ai encore un stock de légumes conséquent, mais je n'ai pas pu résister à un chou-fleur trop mignon et un panais qui se prenait pour un navet.
J'ai pris des pommes, en pensant à mon fidèle Verlaine Ty Miaou, qui adore se rouler sur le sac, vole même parfois un fruit pour jouer avec si j'ai le malheur de le poser sur la table basse. J'ai beau avoir demandé autour de moi, personne ne possède ce modèle de félin attiré par les Elstar.
J'ai pris la fin de l'averse, et ma faim de la sortie piscine conclue par un simple bol de soupe.
J'ai eu cette douleur à la cheville, brûlure d'après l'effort, entorse vielle de dix ans bientôt. Doucement sur le crawl. Un sourire en voyant mes cheveux bouclés en bazar planquer mes petits trous de terreurs elles aussi passées. Doucement sur les ciseaux.
Je suis rentrée, j'ai ramassé l'eucalyptus qui passe son temps à se jeter par terre à cause du vent, j'ai lu et mangé donc, en admirant ce jour et ce chou-fleur auquel il ne manque vraiment qu'un nœud pap' pour être le coquet de ces dames.

Pizarnik & gressins

Les dernières semaines sont un trajet plus facile.
J'envoie souvent à B. de la poésie, tricotées ou imprimées, comme un petit animal voyageur entre deux rives. Je l'enlace de mots tissés doux. Je découvre Pizarnik, certains vers sont un filet, un voile. Je les lis par longues rasades, émerveillée.
Je nage. Malgré mes cheveux tombés, mon exigence assassine envers moi, mon inconfort au milieu des gens, je nage. Ça me remplit d'une fierté enthousiaste. Je souris encore du moment où, un colis allant finalement être livré à 10 heures, j'ai soupiré rassurée de pouvoir aller à la piscine entre midi et deux.
Je cuisine. Si en pensant à ses visites dans mon terrier, les seules que je veux, propose et espère, j'ai acheté la moitié des références de La Fourche (la plus gentille du monde, qu'il a dit, et ça me conduit à avoir des gressins dans mon placard alors que ça ne me fait pas tellement rêver, les gressins), j'ai aussi basculé en me fournissant en, environ, suffisamment de kilos de légumineuses pour tenir un siège. Je pourrais me lancer dans la lecture de tous mes bouquins pas lus sans faire une seule fois les courses, tiens... Je ne sais pas depuis quand je suis végétarienne mais je sais que je n'ai jamais mangé autant de pois chiche. Ma nutritionniste, celle avec qui je détricote mes prisons, va soupirer son fameux "ah bah enfin !", une sacrée récompense. Et un sacré changement, les "Vous ne mangez pas assez", je ne sais plus quoi en faire, une assiette plus grande serait un enjoliveur docteur, calmez-vous.

Je fais du yoga chaque jour, et du sport, je lis et dors bien, je me promène et rêve doucement. Je compulse mes petits feux, ai envie et le vis.

Je ne sais pas si écrire tout ça est valable, ceci dit je crois peut-être que là, remontons quelques lignes, c'est cette "exigence assassine". Soudain et souriant souvenir de lui, toujours, et son appétit de lecteur-ami tendre. Écrire cette marche est un espoir, une potion. La sorcellerie d'une femme qui se fait seule. J'écris comme je surmonte, j'écris comme je m'étire, entre les poèmes que je lui tends par messages brouillons et lignes de nage où j'inspire et expire, inspire et expire, air et eau, air et eau...

(sans titre)

J'aime bien regarder les annonces de la librairie ésotérique. Les stages de tantrisme ont ma préférence : on ne sait déjà pas utiliser l'imprimante en bluetooth, et certains espèrent niquer en wifi.

Outre la scandaleuse et réductrice appropriation culturelle, je ne vois absolument pas l'intérêt de jouer à ne pas se toucher.
Du corps d'un homme, je veux tout. De la petite parcelle derrière l'oreille, si fine, au dos long comme une plage où me promener. Des soupirs aux gémissements étourdissants. Le désir est cette espèce de vague d'incendie, terrassant, vertigineux. Au creux de mon ventre, il lèche mon émoi, et je m'agrippe à lui dans une urgence, avec l'espoir d'être tenue si serrée que je glisse sous cette peau adorablement différente de la mienne. J'aime l'animalité du sexe, pas dans une sauvagerie que la pornographie singe sans dentelle, mais dans l'extinction des jugements critiques, dans l'abandon lumineux et confiant. 
J'aime le sexe pour ce qu'il est, et quand il est le prolongement de sentiments tendres et doux, précieux, c'est une célébration. Être amoureuse ne me manque pas, il ne s'agit pas du tout de ça. Ce qui me manque, c'est le chahut joyeux de corps de gens qui s'aiment bien, qui s'aiment beau et doux. Il y a tant de précaution et d'amour simple dans ces instants, à tenir quelqu'un contre soi et loin du monde. J'aime la maladresse des petites timidités, les balbutiements au bout des doigts car l'émotion vive, regarder des paupières se fermer sur un feu naissant, sentir un appétit se creuser au rythme des caresses, des baisers, des rires étouffés et des petits mots étranglés, la surprise de se libérer l'un et l'autre, de ne rien s'interdire, ni la jouissance bruyante, ni les mains qui guident en cajolant, le rire encore et la tendresse toujours. C'est une magie douce et poétique, une étreinte qui n'est pas un accident ou un essai. Elle a une existence pleine et solaire, mais on ne s'en interdit pas de nouvelles éclosions, refuge infusant entre quelques saisons. Tout ça, on y pense comme on pense à une belle histoire qui compte, car c'est ce que c'est. Du sexe qui n'est pas un marchandage, un contrat, une entente pour évaluer des sentiments ou terrasser une peur de la solitude. C'est, exactement.
Je n'ai pas fait l'amour avec quelqu'un de chouette depuis longtemps. Je n'ai jamais espéré de grand amour plein de à la vie et à la mort, mais là, je voudrais simplement des heures tranquilles de mots bus lentement et un embrasement, de tout ça faire une fête et une beauté. Qu'on prenne soin l'un de l'autre contre un foyer secret, qu'on réchauffe nos mains puis se fasse du thé, repus, enveloppés, adorés. 

(sans titre)

Il lisait beaucoup, accordait une importance exagérée aux mots alors que sa lecture était laborieuse. Il se promenait avec des livres qu'il coupait en deux avec une scie à bois en braillant que cette journée allait être le feu. Les livres coupés, c'était pour les glisser dans ses poches, et le feu c'était pour tenir bien droit dans ses jours, ses espadrilles fatiguées et son corps perclus de douleurs d'ouvrier mal payé.

Il buvait au petit bar des sirops à l'eau, il avait bien vu ce que ça donnait sur les copains, les alcools. Ils l'appelaient la sucrée, il faisait semblant de râler mais ça lui plaisait finalement bien, lui le tout séché par le temps. Le matin, il trouvait qu'il devenait de plus en plus gris. Il respirait ses bras pour essayer de surprendre une odeur de granit. Mais il ne trouvait que la poussière de Kafka, du vent d'ouest à la verveine et le fantôme de cette peau adorée. 

Incipit

J'ai vu des jours, ils étaient bleus, roses, oranges puis suie.


Je n'ai pas eu peur, j'ai juste fui.
Tout en bas en moi, il y a la dernière nuit, le dernier éclat, la

Ça commence comme ça.
Ça commence comme ça, ma folie.

Dans la marge d'un carnet d'heures

Je ne laisse pas n'importe qui entrer dans ma vie, ni même dans mon simple périmètre. Je me vois me replier quand, tant de petits détails, des voix fortes à cette impression d'être brusquée. Il y a certaines fuites dont je ne suis pas très fière. Je n'ai pas, plus, de potes, ce modèle de relations ne m'apporte aucune joie, je n'aime même pas le mot qui sonne comme un rot insolent. Il en reste un peu, de ces liens sans investissements, mais s'ils sont légers ils restent sûrs, stables. En marge de mon cœur bordé, il y a : 

Inventaire de ce qui reste, mon Pour Toujours, après cette tempête

les promenades - le thé dans le silence - lire longtemps - aimer fort - les repas simples faits de mes mains et mon temps - penser à la mer au bout de cette rue de Saint-Malo, après le trajet en train, mon mal au ventre de joie et ma course pour atteindre la plage - mes deux amies qui m'aiment comme ça, tatouage de gang et "on se sait" - le sport qui délie et me ramène - les livres partout, tout le temps, en faisant des crêpes ou en me lavant les dents, piles dangereuses comme hors de contrôle - B., le seul homme qui, le seul homme que, espace émouvant du monde et de la tendresse sans définitions, limites ou étiquettes, confiance aveugle jusqu'à son corps - les émissions de radio sur un poète chilien, les jardins partagés ou la politique - apprendre, de la fermentation du kombucha à la lessive au lierre - les magies douces - retrouver la piscine, calme de l'eau et mes bras forts, surmonter le complexe cuisant de cette chute de cheveux brutale - Verlaine Ty Miaou en ami doux, rieur et adoré, blagueur - des passions folles pour les courriers égarés, les maisons Bon Pasteur, les vies en marge, en vert et sans grabuge - savoir être seule - des lendemains qu'à moi.

Je suis de la race des cours d'eau tranquilles, des ombres filantes et du calme des feuilles après le vent.