"Se taire dans la lumière
c'est aussi beau
que de parler dans le noir"
Vieux poèmes de Vinau, la pluie, le sommeil, ma bouche au café et au silence, les sous que je compte, sécher une feuille et une moustache de chat pour ce paquet qui sera comme mon amour emballé, sécher mes épaules de la nuit, mes joues douces et mes joies simples, sécher l'hiver, prendre le printemps, faire rire l'enfant, espérer se taire dans la lumière et parler dans le noir, fermer les yeux dans la tendresse féroce, mordre aux étoiles d'une peau parce qu'on a trop mordu la poussière.

Nuage brûlé

Puis je me demande toujours, cet endroit de mon dos que je ne peux pas toucher, effleurer, imaginer,
Je me demande,
Il peut devenir à toi ?
Prends-moi le corps, le dos, cet endroit étrange près de ma vulve qui est doux comme un nuage brûlé, les encres diffuses et le son de mon plexus. Prends-moi comme on se secoue au soleil, prends mon cou et mon nombril et mes fesses et ma voix rauque. Comme une course dans la nuit, dessine rides et fossettes, rituels magiques et fourmis chaudes. Faisons du désordre, où commence une peau et où finit une dilution, et voilà, on y est, le dos jamais touché, effleuré, imaginé, il est à toi.

Je claque les draps, puis ma fatigue,
Coton frais et bouillotte chaude.
Je pianote mes doigts contre la nuit,
Ai faim d'une peau,
De bras,
D'un dos,
Du beau partout, solaire, f(l)ou et doux,
Un beau qui tient chaud,
Qui tient haut.
Je claque les draps, puis ma fatigue.
Le printemps arrive après la nuit.
Je nappe l'oreiller de mes cheveux, couve le feu, guette les fièvres et les soleils.
Le printemps arrive,
Déjà minuit.

Sainte-Soline a un an.
Le texto de B. aussi.
Il n'y a pas eu de samedi plus bouleversant et radicalement entre deux mondes de l'émotion que celui-ci.
Je me souviens, suivre les informations sur la manifestation, accepter une garde d'enfants le soir et devoir aller à Gifi, enfer et damnation, foule indélicate oppressante.
C'était vers 16 heures.
Numéro que je ne connais pas.
Moi dans la salle de bain.
L'inquiétude, un instant. M'attendre à tout. Mon père, mais en réalité, d'abord, effroi, un fachiste. Je suis alors dans des moments de terreur qu'on n'est pas censé connaitre, Jeune Garde, Oriflamme, néonazis, policiers. Quelques jours avant, une longue liste de militants de divers horizons avait été découverte dans des groupes de discussion de sympathisants d'extrême-droite. Je relis, cherche ma réponse.
Mais lui.
Vite, si vite, les larmes, sans savoir vraiment pourquoi. La peur de décevoir. Même appartement, même travail, d'autres joies, d'autres blessures. La peur de ne pas être comme il faut. Je l'éprouve souvent. D'année en année, elle est là, autour de mes acrobaties.
Arrangement d'horaires, beauté bien à nous du rendez-vous dans la nuit même, la tempête jusque dans le moindre nuage liquoreux au-dessus de mon sommeil, de mes précautions.
Je n'aimerai pas son jeu à nos au revoir. S'enlacer comme si ce n'était que moi qui le voulais. Sa voix qui claque, "Tu vas te retourner là" et sa silhouette qui s'échappe entre les voitures garées avec un cri victorieux.
J'aimerai les prochains. Les saisons qui défilent et l'appétit qui reste, l'impression d'avoir vingt ans et tout à goûter. Séduction sans piège. Joues timides juvéniles. Mots qui font monde à part. Et les corps, oui, enlacés, bien sûr. Si c'était à refaire, ce serait ça dès les derniers pas l'un vers l'autre. On n'a pas le temps pour être autre chose que tendres, plus le temps pour les relations distantes et médiocres. Vingt ans mais les dents ébréchées, on ne retourne plus dans les fossés boueux.

A Sainte-Soline, un projectile a été lancé chaque seconde par les forces de l'ordre, pendant 1 heure 30. C'est une expérience de la colère collective, radicale. Un feu qui met en mouvement. C'est sans retour, et c'est là que se dessine une similitude avec ce bouleversement, avec lui qui me touche dans un intime que je ne me savais pas. C'est vivant, brouillon et remuant. J'ai finalement eu assez peu dans la vie, et j'ai malgré tout subi quelques pillages, alors je tiens à cette tendresse qui fait trésor et battements rares, patine d'émotions subtiles mes angles, mes arrêtes. Si je sens parfois mes limites misent à l'épreuve, je m'oblige à m'extraire, déployer mes mots et une douceur. Me tenir contre cet autre, cesser les fugues et les contorsions. Cesser d'esquiver être simplement aimée d'un homme. 
Ainsi se caressent les équilibres et
se tiennent chaud,
se tiennent beau,
les flamboyants. 

Je suis dans un temps de mon corps où il faut que je sois précautionneuse. Si je sens mes mouvements moins entravés, l'inflammation autour de ma colonne presque disparue, de petites alarmes tirent dans mes muscles à certains mouvements.
Pourtant, il y a une beauté dans ces espaces autour du mouvement. Sur mon tapis, le Pilates plein de conscience. A la piscine, les longueurs où le souffle se libère. Mesurer l'engagement de mes cuisses, soutenir mon dos de mes abdos, tenir mon corps haut et fort.
Mon pyjama sent encore la gaulthérie, mes épaules la compensation par des angles étranges.
J'ai pu cuisiner des choses secondaires, muffins épicés, journée paresseuse et ciel bleu béni.
Je prends un nouveau rendez-vous avec mon maillot de bain rayé, demain, l'heure tranquille dans la piscine moins fréquentée.
Et je me remercie, de nager, plonger sous les vagues et remonter d'un coup de talon, même quand ça fait vriller une douleur dans ma fesse, de couler sous la douleur sans abandonner les brasses énergiques.

Et ce qui couvait entre les migraines et les insomnies explosa.
Dos figé bloqué crispé jusqu'à la nausée jusqu'aux larmes jusqu'aux jambes.
Lui écrire et avouer que là, dans ces jours, j'ai besoin de lui. C'est stupide, de tout faire pour envelopper et soutenir, être "la plus gentille du monde" qui prend soin et caresse, mais avoir toujours cette armure qui empêche de dire que là, là, il faut la tendresse comme un sauvetage, un endroit où être couvée. Ça fait ça, l'enfance qui se passe mal et les hommes qui détruisent. Ça fait ravaler la boue hurlante et faire comme si, mais j'ai grandi et guéri, et "Je veux bien un câlin".

Je manque de pleurer en descendant des escaliers.
Quelqu'un passe vite et je m'imagine lui demander de l'aide, son bras pour marcher plus facilement.
Je me tiens un instant à une poubelle, ne peux pas caresser un chien mignon.
Je transpire, sens la douleur jusque sous mes dents.
Le numéro de SOS Médecins, au cas où, vraiment, et mes chaussures aux pieds parce que je ne peux pas me baisser.
Je me tiens à un livre que je ne lis pas, je joue à un jeu de société avec l'enfant en me concentrant pour ne pas pleurer.
Avaler ma salive est un effort.
Je pense au gros colis demain, à la séance de natation que je vais devoir aménager, passant de l'entraînement digne d'une loutre véloce à une rééducation de labrador accidenté. Je rentre très difficilement, pleure sur le perron mais suis soulagée d'être dans mon petit endroit heureux. Nausées de la douleur, dîner malgré tout mais pas très bien, triste carotte brossée dans l'évier. Le chocolat offert par J. sauve un peu. Je lis des mots gentils. Je compte les heures. 

Et je me promets de ne plus compter que sur moi, d'arrêter de tout porter et endurer seule. Il s'agirait de prendre de la gaulthérie et de se laisser être aimée. 

3 heures, puis 4

3 heures 27, je me réveille parce que j'ai chaud. Le printemps, donc. J'essaie d'évaluer mon mal de tête, que mon correcteur traduit en "mal de terre", le mignon. Je pense à la lave en fusion, me dis que si elle fait elle aussi 3000 degrés, comme mes jambes sous la couette, ça doit être des scientifiques qui ont décidé ça au pifomètre. Je ne suis pas certaine qu'il existe un outil aussi performant pour évaluer cette température, donc il y a forcément un type qui a dit "Mets 3000 degrés dans le rapport Pierrick, ça va faire bien", le cul sur la roche à flanc de volcan, avec un petit sandwich aux crudités et de la crème solaire sur le nez.
Je vérifie. Entre 700 et 1200°C, la lave. Fillette, va...
Et sacré p'tit cul Pierrick, penché au-dessus de la lave, avec son acolyte qui le tient par la ceinture (pour faire des conneries pareilles, ils ont clairement des blessures d'enfance à régler, ça ce sont des petits garçons à qui on a trop dit "Attention !", depuis ils gigotent sur des volcans)(ceci dit, Pierrick, permets-moi, mais ta mère n'est pas responsable de tout non plus, trois jours de coma parce que tu es tombé du bidet, ça bouleverse. Pauvre mère... Une sainte-femme, Elisabeth. Appelle-la un peu plus, bon sang).

Insomnie donc, qui me fait penser à ce titre de Jazzy Bazz, comme à chaque fois, et donc au couplet d'Esso Luxueux. Après "Rouler la nuit", qui me donne bien sûr envie de conduire dans une ville déserte car je suis une femme à la poésie simple, "Insomnie" me donne envie de boire un café dans un kebab, car je suis aussi sensible aux magies douces, aux évocations naissant d'un rien, peut-être pour certains simplement une originale, une bizarre. Comme Pierrick.