Traversée(s)

J'ai tenté de l'écrire dans ma lettre du dimanche.
J'ai tenté de l'écrire aujourd'hui à B.
Je l'aborde parfois avec mes amies.
Pourtant, cette traversée me semble si difficile à partager, avec un vocabulaire commun, des phrases construites et claires.
Comme je n'arrive pas moi-même à saisir, partager ces tourments est une montagne. Du colossal dans le colossal. Je n'ai jamais vécu épreuve aussi complexe, dans l'expérience même ou dans la façon d'en parler pour en être soulagée, accompagnée. En guérir.

J'ai essayé aujourd'hui d'accueillir le chagrin. D'accepter que ce soit si douloureux et compliqué à comprendre pour moi. De ne pas avoir les capacités pour expliquer.
Avec B., j'avais esquivé la possibilité de confier ces bagages ce week-end. J'ai fait de ces jours des heures à vivre vite et sans lien avec ce passé lointain et pourtant partout. J'occulte depuis des mois, n'en parle que brièvement et par extraits, alors continuer. J'ai nagé, pris l'air, vécu.
Puis ça a été plus... Pas une urgence soudaine, mais la logique peut-être, je ne sais pas. Je ne sais pas grand-chose dans tout ça. B. donc, sa voix et son air que je sais nettement quand il se fait du soucis et me tend les bras. S'il n'attendait pas de moi une intimité docile, je me suis sentie brutale de m'enfermer avec la tempête alors que : lui.
De mon long message, reste la certitude que ce n'est toujours pas ça. Que c'est incomplet, inexact, imprécis. B. est le messager et le veilleur, il sait le goût de mon ventre et ma voix de fatigue ou de rêve, et je ne parviens pourtant pas à atteindre le récit exact de cette plongée.
Peut-être que ce n'est pas nécessaire. Qu'il suffit de moi qui me repose contre lui et accepte sa main tendue, de quelques mots qui consolent, de doigts qui épousent, de respirer dans notre endroit planqué, de me savoir existant pleinement à ses yeux.
Peut-être. Je ne sais pas, ne sais rien de tout ça. Mais dans cet aspect, dans cette tentative de lui raconter, je n'ai peur de rien, et c'est un repos.

Dans mes questionnements, je me suis retrouvée à parler avec une autre généalogiste. De ces mots, ces indications, en ressort aussi qu'on ne comprend pas toujours sa propre démarche, et qu'avoir besoin d'un passé ou ne pas en avoir besoin, c'est dans les deux cas à entendre et recueillir. A respecter.
Je tente alors, de m'autoriser ces immersions et le chagrin, la peur de ne pas savoir refermer la porte, de me trouver face à tout ça sans méthode ni protocole, d'avoir besoin de plus ou de devoir me tourner vers ces deuils.

Les yeux embués.
Je prends la fin de cette journée que j'ai dû surmonter. Matinée compliquée, la pluie, puis mes courages. Aller nager, prendre l'air au parc. Envoyer un petit mot à cette amie, choisir une nouvelle lecture, proposer un verre demain, respirer et contempler mes mains.
Il reste bien tout ça, la vie entière. Le feu du printemps et la faim de peaux, les muscles éprouvés, le corps bon à rêver, nager courir manger jouir rire dormir, les espoirs des lendemains.