Notes d'un soudain


• Le ciel bleu, le froid polaire et l'odeur de ce savon

Je pleure face à B., le vois à peine, n'arrive pas à garder sur mon corps à la dérive ses mains-berçeuses, sa chaleur dans mon brouillard. Mais on se quitte en se serrant dans la nuit de ma petite cour, se retrouve une douceur. Comme une joie balbutiante, une poésie légère. Je file au lit, me cache sous plein d'épaisseurs, frigorifiée. Je m'endors abrutie par les larmes.
Je passe le jour suivant à le surmonter. A tituber. Je cuisine une tarte délicieuse. Je prends l'air glacé et rentre boire le chocolat offert par C. Je fais du yoga. Je ne désespère pas. J'attends la fin de la tempête. Regarde les lumières au loin.
J'aurais aimé savoir m'abandonner plus facilement, laisser ses mains tracer tranquillement les contours de ma peine, puis ça aurait peut-être fait venir une joie intime comme on attire un chat vagabond. Mais j'ai la douleur sauvage qui hérisse le dos courbé au-dessus de la table basse, la bière salée et le soir humide, impose aux articulations crispées la distance dans une supplication, la réclusion sur le lino froid.
J'ai la douleur sauvage qui prend son temps.
Tant qu'elle ne prend pas le mien, je ne m'alarme pas.

• Les manies des moineaux, faire rire mes amies et être courageuse
Je me glisse dans ces notes après des jours sans avoir les mots. Je ne les avais pas depuis des mois ceci dit. Je posais des livres qui ne me disaient rien, n'écrivais pas. Puis me voilà qui tombe dans des lectures et rêve de petites phrases en marchant. Ça a été un pas sur mes terres, un soupir rassuré aussi. Ça coïncidait avec une lumière particulière dans mes heures, une légèreté notable juste sous mes côtes.
Je respire donc plus amplement depuis les dernières notes.
Je garde le cap et le menton levé, prends bien soin de moi et commence à me sentir mieux.
Je commence à me sentir mieux...
C'est immense et rieur, je suis scrupuleusement mes médecines et n'en reviens pas : je me retrouve enfin un peu. Je ne m'étais pas vraiment perdue, mais je ne me voyais pas. J'avais trop de choses à porter, beaucoup trop, c'est même fou ce que j'ai supporté ces derniers mois, évidemment l'anesthésie,  écritureconfiancefamilleaccidentdépressionintimitédoutesargentavenirpolitiquestatuteocialmaladiecorpsamourpasséviolencerêvesantésecretsliens, et en déposer a été un soulagement impossible à écrire. Presque trop grand pour mon cœur. Je pense souvent à sa mine, "Plus moi que toi", sur nos tiraillements des derniers mois. À ces mots, il y a eu comme un bruit de sac qui tombe lourdement sur le sol. Ça se liait à plein de petites failles, je ne pouvais en parler à personne, ne m'y autorisais pas. Mais soudain nos mots qui pansent, assument et assurent. J'avais jusque là l'impression d'avoir à porter une responsabilité injuste, et de devoir me faire à l'idée, passer à autre chose, vu que je n'arrivais pas à me décider à fuguer. Avoir été entendue et comprise, puis consolée des cailloux dans les genoux, a été un apaisement. Désormais me réchauffe le sentiment d'avoir rangé quelque chose, de sentir un nouvel élan. C'était permettre à tout ce que j'avais mis à mon chevet pour me réparer un peu d'œuvrer pleinement.
Comment avoir cru que mes efforts pouvaient me remettre d'aplomb alors que j'avais tout ça dans les bras. Comment avoir cru que ma discipline seule allait fonctionner. Je faisais de la marche, du sport, du yoga, de la méditation, surveillais ce que je mangeais, mon sommeil, prenais quelques gélules, avec mes bras plein de cartons.
Évidemment que c'était trop dur. Vaguement inutile.
C'était comme faire un marathon avec un frigo sur le dos. Pas foncièrement impossible. Mais immensément difficile.
Je commence à me sentir mieux.
Sonnez cloches, battez tambours,
Je commence à me sentir mieux.
Je ressens des joies. Écouter Diglee parler de littérature, me surprendre de l'envie urgente de lire son dernier texte, celui au titre qui me bouleverse, découvrir des livres qui me font envie et des sujets à explorer, me faire des tasses de ce thé que je bois par longues gorgées, sentir mon souffle qui s'apaise après le sport, cuisiner en écoutant la radio, marcher sous le ciel bleu, être drôle et gentille, rêver de la mer. Je ressens des joies et ne suis pas obligée de les traquer pour les identifier. Je n'ai pas besoin de les interroger pour savoir si elles percent mon plomb.
Évidemment que tout n'est pas facile, et ça le sera probablement jamais, c'est même d'une banalité confondante. Mais ça ne suscite qu'un "Et ?".
Je ressens des joies.
Je commence à me sentir mieux.
On est demain, ça y est.
Ça y est.