Bisou

Je t'écris un bisou et tu en fais bien ce que tu veux. Tu peux le poser où tu veux, dans la boîte à gants de la voiture, ton sac à malices ou tes jours sans fantaisie. Ou dans les poils du chat, mais t'as pas de chat, alors dans ta poche ou bien dans ton cou, comme tu veux, vraiment, je l'ai pris comme ça exprès, en dodu doudou. Dans la poche, c'est bien, c'est à un RonRonnement de pRoche, puis c'est un bisou fait le nez frais, alors...

Bien sûr, il est échangeable.

Bagarre

Petite, je saignais souvent du nez. Une timidité, un ballon dans le visage, l'eau chlorée ou un matin brouillon, et je sentais un filet tiède éclore et tomber jusqu'à mes lèvres, mon tee-shirt et mon embarras. Je ceuillais mon sang de mes mains, appuyais mes doigts contre mes narines, très fort, juste sous l'os. Je le veillais en tenant mon menton dressé au ciel, sentais la chaleur dévaler ma gorge et révolter mon estomac. Je pissais le sang et ce n'était rien, juste un échantillon de la violence qui ne se dit pas. 
Déjà je saignais sans combat.

Ressac

Parfois tu me manques,
Et d'autres fois, je ne sais plus.
Plus trop.
C'est comme le ressac dans le métro,
Passé janvier, c'est oublié.
Passé des corps et des pas,
Ça ne me manque pas.
Passé l'effort, chaque flaque où je te crois,
Non, tu ne me manques pas.

(sans titre)

Je connais l'odeur de l'abandon.
Elle a celle du cou d'un garçon, celle de l'avant-bras d'un homme. Elle a celle de la salle de bain embuée après des ablutions, celle d'une ville d'hiver embrumée après la folie douce, celle de mes parcelles embrassées.
Je respire, et ça me revient aussi, alors j'aimerais le corps suspendu comme les jardins tokyoïtes. J'aimerais le corps, mon corps de petites branches aux bourgeons tendres, fossilisé en un instant, incapable d'identifier une odeur, incapable de me rappeler la douceur, incapable de me laisser sentir la solitude des fureurs sans terreau.

Le traité

Je me demande si tu aimes encore la mer en hiver, la pluie quand tu es au sec, trouver de la monnaie dans une poche et une boulangerie sur le chemin.
Je me demande si tu aimes encore qu'on t'embrasse là, juste là, non ne le dis pas, si tu repenses à des bras autour de ton buste et à des mains à saisir, caresser, serrer, baiser et chérir.
Je me demande si tu aimes encore la saine fatigue après la longue marche, la course de doigts sur tes côtes, la peine du beau passé mal regardé.
Je me demande, si ta nuit, tes saisons, si tu penses aux oiseaux la nuit et à l'océan perdu, si tu guettes tes pieds et le goût de la terre après la pluie.
Je me demande si tu m'aimes encore un peu, moi, juste un peu, et demande si tu ne m'as jamais aimée. Je me demande si les autres, encore plus, encore fort.

Je me demande si ton coeur s'emballe encore quand vient la fin de tes films, ceux où on pleure dans des langues inconnues et des paysages verts et gris d'autres pluies.

Je me demande si la paix, la paix instaurée entre nous deux, la paix qu'on fait parce qu'on ne s'aime pas assez pour se détester, je me demande si la paix va résister.
Je me demande si la paix va résister à mon cœur qui bat de l'existence du tien, mon coeur qui bat du simple fait que tu vis encore, que tu vis toujours, en corps et en coeur, même loin, même trop. Je te sens, j'en bats, ta voix trop forte et tes mots plus encore, ta cour et moi à tes pieds. Je détricote, enlève l'épingle, ça pique de toi, les dessins comme ça.
Je me demande, si ma folie résistera au temps, si ma folie résistera aux mains, aux gants, aux blancs des murs et aux mots sans figure.
Je me demande, non, je sais, ce n'est que la tienne que je voudrais. Ta figure, même pâle et triste, ta figure à saisir, caresser, serrer, baiser et chérir. 

Hiver demain

Ce matin, dans ma main était gravé un petit hiver. Tout petit, un peu gris, il soufflait les nuages et grinçait du verglas.
Je l'ai bu avec un fou, un fou serré, saoul ferré, un truc sucré qui assomme et dépouille.

(sans titre)

Il y a le vieux monsieur de l'immeuble d'en face, figé avec son chien devant les travaux de la voirie. Je crois que c'est parce que dans leur enfance il n'y avait pas de pelleteuse que les petits vieux endossent désormais le rôle d'observateurs bien volontairement.

Et moi je les vois.
Les immeubles qui se montent en un clin d'oeil de passants paresseux, de promeneurs négligents.
Les routes creusées comme des milliers de tombeaux, mystérieux tuyaux et passages secrets que je me rêve.
De l'autre côté des grilles, il y en a toujours un. Il a une casquette ou un pantalon en velours, déjà le pain et parfois un chien.
Un petit vieux qui regarde cette grande affaire, les ouvriers.
A 16 heures 30, il ne sera pas là mais il y aura son homologue en poussette, qui mange des madeleines et regarde avec la même application l'élévation de l'urbain jusqu'au ciel, Icare en tenue de chantier dans la grue jaune.

Enfance

Je porte parfois l'enfance sur mes épaules, sens ses petits mollets ronds et doux sous mes doigts.

Je garde encore cette main qui grandit vite dans la mienne.
On traverse bien au vert, rallonge les goûters les jours sans devoirs.
On fait des crêpes et des chansons.
Elle apprend et pousse vers le ciel.
Devient trop lourde entre mes bras.

Je porte parfois l'enfance sur mes épaules.
Je ne sais pas si c'est la mienne.
Celle pas eue, celle pas donnée.
Je ne sais pas comment la border.
Corps endormi qu'on met au lit, depuis la voiture qui refroidit après le trajet dans la campagne noire, depuis le film qui s'évapore dans le salon devenu si étrange, comme ça, quitté sans cri, pipi les dents au lit j'ai dit.
Ventre et canapé désertés dans un dimanche veille de rentrée,
Le lit est fait.
L'enfant absent.

(sans titre)

Ce qui tord le ventre c'est l'espace entre deux corps,
Des mains qui dansent au dos de l'hiver argent
Puis essorent les nuages,
Écouter un cœur comme on écoute à travers une porte,
Sentir un cou,
L'embrasser comme un bras de mer,
Je fais le gros dos,
Comme au fin fond d'un novembre qui mange la lumière
J'ai mal à un endroit qui n'existe pas.
Je fais des poèmes comme des cailloux.
Sur un petit chemin, contre l'horizon
Je bande ma cheville.

La conteuse

Je lui ai raconté, 
Le ciel bleu, quatre virgules, un grain de beauté, l'empreinte du vent sur le sable et combien un horizon me manque.
Je lui ai raconté,
Les soirs d'été, trois accents, l'odeur de son corps après la nuit. 
Je lui ai raconté...
Le froid parfois, trois petits points, au cœur au corps, encore encore.

Broderie en Desnos

Quand je ferme les yeux et m'étends, il y a toi. Je repense à ces visages sans bouches et ces corps sans noms, les ombres du temps maudit, le goût et l'essence de l'effroi. J'ai peur avec et sans toi, j'ai peur autant que ça mais je préfère quand tu y es, dans mon ventre noué et mon dos peiné.
Il y a toi la nuit, le jour aussi, c'est sans point final, sans mot connu, c'est lointain perdu et temps suspendu. 
Il y a toi, je t'attends parfois sous mes paupières, je t'entends et m'endors déjà, mais des baisers et le réverbère, l'arbre à abattre et les hommes tombés avec l'automne, je reviens. 
Il y a toi, et même sans mes lèvres je t'embrasse, c'est comme ça, comme ça que je reviens, sans les visages et les corps et encore.

3 heures 28

Est-ce que les endroits de mon corps que je ne peux pas toucher sont à moi,
est-ce que les heures que je ne vois pas,
Est-ce que tout ça existe vraiment,
Mais si ça peut tomber, disparaître,
Alors il faut se remettre de ce qu'on ne sait pas avoir,
Il faut que je me remette de mes grains de beauté jamais vus et de ces 3 heures 28 jamais vécues.

Bête

J'ai vu le jour chasser le monstre,
Mordu ma langue et lâché les chevaux. 

Prends mon cœur, je n'y suis pas.
Je cours le bois, la langue pendante,
Sens mon sang et vole le chemin,
Mords le cuir, et mort le bois, 
Avec ces dents, tout passera.

Chut(e)

Entre la chute et le silence il n'y a qu'une march(e), cette lettr(e), le facteur n'est pas passé, il ne passera jamais,
Lundi 
Mardi
Mercredi 
Jeudi
Vendredi 
Samedi 
Dimanche, latence.

(sans titre)

La bouilloire s'ébroue sur le feu.
Les mains glacées, j'ai réussi.
A me lever laver relever du détricot brutal des heures,
Me remettre du bruit des mains des autres qui tapent dans mes vitres.
Revenir.
J'ai béni mes bête avant de les sacrifier, soufflé sur les genoux de mes maladresses, imaginé ses mains de la saison neuve essuyer mes joues de bien mal tombée, sur le bitume et dans son calendrier.

Penn ar bed ha eon.

"Il y a trois sortes d'hommes : les Vivants, les Morts, et ceux qui vont sur la mer"

Aristote