(sans titre)

J'avais écrit un truc de cul.
Un truc coquin, doux et repu, un truc de cul heureux. Un truc qui donne chaud et rouge, un truc qui donne envie.
J'ai pensé à ces yeux qui pourraient les lire.
Ça ne m'a pas du tout gênée.
Alors j'ai tout effacé.


Garder mes virgules,

Peau à cartographier. 

(sans titre)

C'est
Deux corps étendus
Double page insolente de mots crus
De mots léchés
Mordillés.

C'est
L'arbre qui ploie sous la pluie
Les feuilles qui embrassent
La boue et les anges
En bottes de pluie, maman qui crie.

C'est
Un cou où respirer
Des mains à réchauffer
Un jour à baiser,
Avec un S pour les minots en ciré,
En un verbe licencieux pour les amants bien abrités.

Un jour

Je ne travaille pas les jeudis, c'est une nouveauté de septembre dernier, un incongru. Je ne m'y habitue pas tellement. Que faire de cette journée, comment l'habiter. 
J'ai lu en pyjama. Longtemps. 
Je suis allée au petit marché. Là, juste le temps de quelques légumes et d'un petit bout de pain.
J'ai voulu aller au Thabor, les mains dans les poches, mais je n'ai pu que remonter la rue, jusqu'à deux CRS devant un cordon et le parc fermé.
J'ai marché un peu dans la ville. Ça me plaît nettement moins que le vert boueux et les canards. Puis les pavés glissent, ça m'agace.
Je suis allée à la librairie en bas de mon terrier. J'ai noté des recueils de poésie. Ai soupiré en en trouvant certains très Yogi Tea et Développement Personnel. L'enfer.
J'ai voulu prendre un livre pour B., mais il n'était pas en stock. J'ai d'ailleurs pensé à ça, aux livres à rattraper. Doit-on rattraper nos passions, nos lectures, nos bouleversements. Il y a des livres dont j'aimerais lui parler, lui dire la consolation ou la joie qu'ils ont été, mais comment. Il y en a tant... Et comment se dire, les petites poésies, les banderilles, qui font les jours et ce qu'on est devenu. C'est une drôle d'expression, "rattraper le temps perdu". Je ne sais pas trop quoi en penser alors je reste juste là, dans notre bras de mer qu'à nous, j'apprends à être, sans réminiscences ni projections. Je pense à lui, à nous, puis son cou. Nos douze ans de livres, douze ans à vivre. En 2021 ou 2022, je voulais compter quelle distance j'avais parcouru avec mes lectures. J'ai délaissé le projet, puis je lis trop en pyjama pour voyager élégamment. 
J'ai fait du Pilates et du yoga. Pas dîné, un peu somnolé. Pris le canapé juste pour avoir le chat sur les genoux, un nouveau livre et une tasse de tisane de Noël.
Y a plus de saisons.
Et plus de jours chômés censés.

Schrödinger

J'écris comme on jardine, les pieds sur un chemin glissant et le dos courbé dans le labeur.
Mes jours se ressemblent pendant que je rassemble,
Ce que j'ai perdu ces derniers mois,
Ce que j'espère pour les prochains.
Je rêve un peu, rougis parfois, espère toujours.
Je sens mon corps reprendre une consistance, une force. Une fièvre.
Je range mes nuits, les ombres et ceuille le feu.
Je vis des interrogations généalogiques en miaulant, Schrödinger, yeux qui se perdent et gorge qui se noue une seconde, juste une. Il y a ce nom lu sur un avis de décès, novembre, 92 ans, est-ce possible, ce nom que je me suis imaginé lire à six ans sur la boîte aux lettres de l'immeuble, ce nom que je me persuade donc être le sien, pourtant : Schrödinger, laisser cet ami flou et précieux dénouer le grésillement des secrets poisseux.
J'ai envie de nourriture, de poèmes, d'une peau, de muscles tendus dans de longues foulées et de plus longues étreintes encore. De discussions qui s'étirent dans la nuit, de sexe heureux et tendre, de romans qui font miel et de phrases, mes phrases, à lier et délier et créer. D'un dîner avec ce tout petit trop de vin, celui qui rend les gestes lents et les joues roses, de la mer sur laquelle parier, gris-bleu ou bleu-vert ?, d'un baiser dans le couloir de l'immeuble, dans le petit recoin au pied des escaliers, je rentre le soir et pense à ça, j'y veux un baiser chaud, flou, sensuel et animal, tout en lèvres et langues et dents et gémissements étouffés contre la gorge, vêtements qu'on froisse, peau qu'on cherche, corps qu'on tient et voilà, je veux. 
Je vis,
M'étire et m'étends,
Sur le chemin et entre les fleurs,
Les jours,
Rien que mes heures.

Dimanche

Je paresse au lit, note des recettes avec de petits post-it à la couleur indélicate. J'ai dormi longtemps, sous mille épaisseurs et contre le chat bien appliqué (et moelleux). On fait une nouvelle sieste, après la soupe et avant les petits pas au parc.

J'y marche lentement, souris aux canards sur la pelouse et à ce petit randonneur tout neuf. Sa mère s'excuse d'avoir interrompu ma promenade, pourtant j'aurais pu pleurer des petites fossettes précieuses, du sourire lumineux et du coucou maladroit mais enthousiaste.
Je rentre boire du thé. Je suis toujours émerveillée qu'on puisse boire des choses aux noms de poèmes, de souvenirs à se faire. "La dame aux camélias", petits biscuits non identifiés et deux bonbons en regardant les moineaux sur le mur.
Je pense à lui dans une rêverie, embrasse le chat, fais du yoga. Je sens mes bras plus forts, et mon visage comme lissé par les ennuis que je dépose, la discipline que je m'applique.

J'ai fait un dimanche.
Je fais ma vie.

Pâtes dinos & canard endetté

J'ai mangé des pâtes en forme de dinosaures, écouté la radio et bâillé plein de fois. J'ai fait un tour de parc, je pensais au thé chaud à mon retour, le visage glacé et les yeux mouillés. Je touchais mes joues, mesurais l'effet tenseur de cette cryothérapie mais trouvais surtout que j'avais aussi froid aux doigts. J'ai demandé à un canard qui me suivait si il voulait qu'on aille jusqu'à la roseraie, mais je crois qu'il avait des trucs à faire sur la grande pelouse vu qu'il a bifurqué avant la basse-cour. Peut-être qu'il devait de l'argent à quelqu'un et évitait le secteur.
J'ai souri à un chien. Il avait l'air super pressé d'aller lire dans le buisson.
J'ai vu des hommes courir en legging, ça m'a fait penser à cet humoriste qui dit que ça peut foutre dans le décor, comme un coucher de soleil en voiture.
En ce moment, les coureurs m'énervent d'ailleurs. On vit dans une grande ville bien éclairée, mais ils courent le soir avec des lampes qui donnent le vertige, leur faisceau sautant sur le trottoir et dans les yeux. Je peste que ce sont des connards en Lycra et me sens aussi étourdie qu'une hirondelle qui débaroule dans une maison.
("Débarouler", c'est lyonnais)
Il paraît que j'ai un accent.
Et que le brocoli ça revient deux fois par an.
C'est ce que j'ai appris au petit marché du jeudi.
J'en suis rentrée avec des choses aussi engagées que du céleri-rave. J'ai mangé des pois chiches germés en me disant que c'était l'idée que je me faisais d'un spermatozoïde de diplodocus. 

Grosse journée.

Notes d'un soudain


• Le ciel bleu, le froid polaire et l'odeur de ce savon

Je pleure face à B., le vois à peine, n'arrive pas à garder sur mon corps à la dérive ses mains-berçeuses, sa chaleur dans mon brouillard. Mais on se quitte en se serrant dans la nuit de ma petite cour, se retrouve une douceur. Comme une joie balbutiante, une poésie légère. Je file au lit, me cache sous plein d'épaisseurs, frigorifiée. Je m'endors abrutie par les larmes.
Je passe le jour suivant à le surmonter. A tituber. Je cuisine une tarte délicieuse. Je prends l'air glacé et rentre boire le chocolat offert par C. Je fais du yoga. Je ne désespère pas. J'attends la fin de la tempête. Regarde les lumières au loin.
J'aurais aimé savoir m'abandonner plus facilement, laisser ses mains tracer tranquillement les contours de ma peine, puis ça aurait peut-être fait venir une joie intime comme on attire un chat vagabond. Mais j'ai la douleur sauvage qui hérisse le dos courbé au-dessus de la table basse, la bière salée et le soir humide, impose aux articulations crispées la distance dans une supplication, la réclusion sur le lino froid.
J'ai la douleur sauvage qui prend son temps.
Tant qu'elle ne prend pas le mien, je ne m'alarme pas.

• Les manies des moineaux, faire rire mes amies et être courageuse
Je me glisse dans ces notes après des jours sans avoir les mots. Je ne les avais pas depuis des mois ceci dit. Je posais des livres qui ne me disaient rien, n'écrivais pas. Puis me voilà qui tombe dans des lectures et rêve de petites phrases en marchant. Ça a été un pas sur mes terres, un soupir rassuré aussi. Ça coïncidait avec une lumière particulière dans mes heures, une légèreté notable juste sous mes côtes.
Je respire donc plus amplement depuis les dernières notes.
Je garde le cap et le menton levé, prends bien soin de moi et commence à me sentir mieux.
Je commence à me sentir mieux...
C'est immense et rieur, je suis scrupuleusement mes médecines et n'en reviens pas : je me retrouve enfin un peu. Je ne m'étais pas vraiment perdue, mais je ne me voyais pas. J'avais trop de choses à porter, beaucoup trop, c'est même fou ce que j'ai supporté ces derniers mois, évidemment l'anesthésie,  écritureconfiancefamilleaccidentdépressionintimitédoutesargentavenirpolitiquestatuteocialmaladiecorpsamourpasséviolencerêvesantésecretsliens, et en déposer a été un soulagement impossible à écrire. Presque trop grand pour mon cœur. Je pense souvent à sa mine, "Plus moi que toi", sur nos tiraillements des derniers mois. À ces mots, il y a eu comme un bruit de sac qui tombe lourdement sur le sol. Ça se liait à plein de petites failles, je ne pouvais en parler à personne, ne m'y autorisais pas. Mais soudain nos mots qui pansent, assument et assurent. J'avais jusque là l'impression d'avoir à porter une responsabilité injuste, et de devoir me faire à l'idée, passer à autre chose, vu que je n'arrivais pas à me décider à fuguer. Avoir été entendue et comprise, puis consolée des cailloux dans les genoux, a été un apaisement. Désormais me réchauffe le sentiment d'avoir rangé quelque chose, de sentir un nouvel élan. C'était permettre à tout ce que j'avais mis à mon chevet pour me réparer un peu d'œuvrer pleinement.
Comment avoir cru que mes efforts pouvaient me remettre d'aplomb alors que j'avais tout ça dans les bras. Comment avoir cru que ma discipline seule allait fonctionner. Je faisais de la marche, du sport, du yoga, de la méditation, surveillais ce que je mangeais, mon sommeil, prenais quelques gélules, avec mes bras plein de cartons.
Évidemment que c'était trop dur. Vaguement inutile.
C'était comme faire un marathon avec un frigo sur le dos. Pas foncièrement impossible. Mais immensément difficile.
Je commence à me sentir mieux.
Sonnez cloches, battez tambours,
Je commence à me sentir mieux.
Je ressens des joies. Écouter Diglee parler de littérature, me surprendre de l'envie urgente de lire son dernier texte, celui au titre qui me bouleverse, découvrir des livres qui me font envie et des sujets à explorer, me faire des tasses de ce thé que je bois par longues gorgées, sentir mon souffle qui s'apaise après le sport, cuisiner en écoutant la radio, marcher sous le ciel bleu, être drôle et gentille, rêver de la mer. Je ressens des joies et ne suis pas obligée de les traquer pour les identifier. Je n'ai pas besoin de les interroger pour savoir si elles percent mon plomb.
Évidemment que tout n'est pas facile, et ça le sera probablement jamais, c'est même d'une banalité confondante. Mais ça ne suscite qu'un "Et ?".
Je ressens des joies.
Je commence à me sentir mieux.
On est demain, ça y est.
Ça y est.

(sans titre)

C'est une maison silencieuse,
Peinture qui s'écaille sans formes à rêver.
Les plafonds sont tombés mille fois, hantés par des terreurs paresseuses.
Les volets ne bougent pas, le parquet ne craque plus,
Pourtant dehors, vent pluie secousses.
Ils réchauffent leurs doigts contre leurs bouches et les flancs des chiens,
Font l'amour pour de faux et les bébés pour de vrai,
Des bébés que le grémil fait crier,
Des nuages à la bouche.

(sans titre)

J'écris du domaine de l'éboulement.
Les jours sont une terre meuble et grasse mais rien ne s'y vit. C'est un espace flou, impalpable.
J'écris sans avoir les mots.
En ai-je déjà eu.
Je remets en doute mon ombre, pupille d'un territoire inconnu.
Je prends l'eau comme on s'habille pressé,
Tout d'un coup,
Jusqu'aux narines.