Notes dans les derniers jours de décembre


• 
Nouvelle lecture, petit bouquet de houx et vieilles émissions de radio.
Faire du vide. Six mois de larmes presque quotidiennes, de presque larmes plutôt, de lisière d'eau. Ça commence à faire long. Je m'éclipse. J. m'écrit qu'elle m'aime, me dit qu'elle aurait aimé m'offrir la mer pour mon anniversaire, mais voilà. Les circonstances. On se tient par la main et plonge sous la vague. A. me raconte les boules de Noël fracassées dans ses escaliers. Les paillettes qui restent malgré le nettoyage.
Je ne parviens pas à me réchauffer, je commence un nouveau livre et peine sur les dernières pièces d'un puzzle. Je ris avec mon ami-chat quand il me répond "hum ?" dans nos discussions.
Je fatigue mais patiente, fais plein d'efforts.
Mais je fatigue oui.
Je fatigue.

• Faire de petits cadeaux à cet enfant, silence et ciel rose.
Ce que je trouve difficile dans la souffrance, c'est de ne pas disparaître sous elle. De ne pas la laisser nous aliéner, nous effacer. Nous isoler des autres et du monde. De l'accueillir sans la laisser tout écraser.
Je tombe donc parfois en moi, porte alors le visage de mes soucis.
Ça va passer.
Tout passe, même l'orage.

• Réussir à manger, dormir bien au chaud et être en vacances.
Après une semaine au chevet de l'enfant malade, les congés que je guettais tant sont là, suscitant une forme d'inquiétude. Les derniers week-ends et jours chômés, c'était des heures douloureuses et floues. J'ai peur de voir le temps filer et de ne l'avoir employé qu'à surmonter.

• Ciel incroyable, chien drôle et rose d'hiver.
Je tente d'écrire à B. ce colossal, ce poids mort entre mes bras, mais je suis polie au secret, roule mon dos contre l'écorce, en fait pousser une insomnie. J'efface tout.
J'ai encore laissé plein de cheveux sur l'oreiller. Retourne sous les épaisseurs me faire les muscles et le cœur forts.

• Acheter enfin ce livre, album adoré et chien frétillant.
Finalement, prendre sa main et approcher l'opacité.
Je sors prendre l'air au parc. Marcher un peu me repose, feuillages dans les roses, visite aux oiseaux et au vert parti. "Blue Eden" sent très bon. J'écris sur un banc, regarde les gens, repars doucement.
Je perds un sac de tristesse à chaque fois qu'on me dit "Je suis là". Je vis tout ça en solitaire, mais ces trois mots me font l'effet de petites lumières d'un foyer au loin. Les gens que j'aime sont là-bas, dans un petit cottage tranquille, à me guetter en faisant un Scrabble, une tasse de thé m'attend près du canapé.
Je recommence à méditer alors que j'avais dit, un homme qui me murmure à l'oreille sans que je jouisse, merci bien. Je déroule mon tapis et prends mes embruns un par un.
Je crois que je l'ai, le courage des oiseaux.
Je tiens mes jours, coupe des légumes et dors longtemps.
Je vis mon hiver et la jachère.

• Le bruit du vent, les cadeaux inattendus qui renversent et Verlaine qui joue avec la porte de la salle de bain.
Demain, j'ai 33 ans. Je ramasse trois fois l'eucalyptus, regarde les billets de train pour aller me baigner le 31 (j'allais écrire "laver"). J'ouvre leurs colis en sanglotant et riant, grands "Oh !" émerveillés. Il y a tout de même la broderie d'un petit canard scandant "Fuck le 17".
Je vais prendre le vent et un petit chemin, ça me saoule un peu de savoir tout ce qu'il faut pour aller mieux : ça demande beaucoup d'efforts, c'est un travail permanent. Mais j'y vais, et lever parfois le blocage du cerveau est difficile, presque douloureux.
Au yoga, au moment du saut en tadasana, il fallait trouver une gratitude. "M'en sortir comme une cheffe". C'est ce qui m'est venu spontanément.
Et je n'en doute pas une seconde.
Bravo cheffe.

The National, pluie fine et marcher après les larmes.
J'éclate en sanglots en lisant son message.
Je marche dans le parc pour reprendre cœur, il fait froid, il bruine une pluie poisseuse et je souris d'imaginer le réconfort du retour au chaud, au sec et avec du thé.
Mal dormi dans la nuit, pas fait de petite sieste, je m'imagine sous les plaids, déjà. Je fais du yoga, la liste des courses, un bisou au chat presque sur mes épaules. Et encore bravo cheffe.

Le yoga avec Verlaine en observateur facétieux, chien dans un sac et pâtisseries de droite.
Donc, 33. Voilà. 33 ans. J'ai mangé deux très bons gâteaux avant la sieste sous le chat, fait mon fameux travail thérapeutique air frais-yoga-méditation : la vida loca, donc. J'ai cuisiné une soupe de fenouil car je sais aussi être punk.
J'ai senti ma rose préférée au parc et vu une poule perchée dans un petit arbuste.
J'ai pris des photos du ciel pour ma collection.
Je souris un peu de ces instants où je me répare dans la roseraie. Cette marche avec les joues encore humides, je la porterai bientôt en moi comme une poésie attachante. C'est dans les fleurs endormies que j'éclos.
Je m'étire avec cette fin d'année.
Je respire.
Fais la planche.
Et des soupes.

(sans titre)

Brûler ses empreintes sur le dos d'une baleine à bosse,
Écarquiller les yeux dans la brûlure du sel,
Étaler son dos contre le crépuscule,
Et laisser les courants,
Faire cap vers le nord.

La mer au rouge

Je marche dans le ciel, il est rose, violet et gris, pluie dedans et sans un vent.
L'homme parle avec les mains et ça joue ma musique, les écouteurs trop fort et le soir trop soir : je veux rentrer, m'effacer et oublier. J'ai fini un livre et ma patience, plus une syllabe.
Je pense à la mer, j'espère qu'elle va bien. Je me demande souvent de ses nouvelles, dessine son sel et les algues. Elle est toujours en moi sans danger. Quelques brasses le long de la route et je me rappelle, est-ce qu'elle aussi enfouit ses vagues et écume l'automne. Peut-être qu'elle se rappelle mes bras passés et mes remous, peut-être qu'elle attend nos peaux et espère comme nous. Il y a sûrement des hommes qui la baignent plus que d'autres de prières et d'insensés, il y a sûrement des hommes qui en connaissent chaque goutte, des hommes qu'elle baptise chaque jour.
Mer déviée par un feu rouge, quatre voitures et un vélo à marée basse, quel soir, je marche dans le ciel, le rose et le violet, un gris parti et le soir, se rafraîchit.

Notes dans des jours de décembre

Marie-Aude Murail à la radio, puzzle et chien en sweat.
Une variation de la convalescence. Bouilloire toujours tiède. Lunettes qui glissent de mon nez. Je reprends des forces sans savoir pour quoi, ni après quoi. Suis-je d'ailleurs après ? Le chat dort lourdement entre mes bras, je dérive tranquillement et me réconforte dans nos sommeils. Je ne vois pas la fin de nos films quotidiens.

Son corps de brave matou contre mon dos, la pluie et France Culture dans la cuisine.
J'essaie de tromper la douleur, pourtant je me retiens parfois aux meubles et à une minute. C'est depuis plus difficile de trouver des choses douces, de me réconforter. J'oublie de respirer quand je découvre que je peux de nouveau me déplier, mais je m'occupe gentiment. Puzzle et livre, la radio, plein de thé. Je compte. Avale un comprimé. Attends sagement.

Teckels en petits manteaux, sieste sous le chat et gentillesses bouleversantes.
Quelques jours au fond du puits.
A passer de la souffrance intense à l'anesthésie.
L'impression d'avoir le visage cassé, quand je tombe en moi.
Découvrir mon crâne par endroits si nu, ça me ruine le cœur. Me surprendre, "répugnant". Je n'utilise même pas ce mot pour décrire un déchet dans une ruelle.
Je reviens doucement, une heure plus facile après l'autre. J'espère, mains qui dénouent, bras qui ramassent, corps qui enlace.
Des choses me serrent le cœur et tricotent dans mon ventre. Je peux à peine les identifier mais je les imagine s'enrouler autour de ma colonne vertébrale, tuteurer les ombres et les mener vers la sortie du bois. Ça va du petit dealer devant l'épicerie, café et pain d'épices dans la main, aux affaires pressées des moineaux. Magies douces à peine visibles des hommes, je me love contre elles et m'enveloppe.

Dormir longtemps, marcher dans les feuilles et rentrer pour le thé
On m'offre plein de cadeaux en ce moment, trop, beaucoup trop, je ne mérite rien de tout ça et je ne suis pas sûre de remercier comme il faudrait. J'arrive à peine à lire les petites cartes qui les accompagnent. J'aimerais raisonner les gens qui m'aiment.

"Je suis tout le temps content de vous croiser", lire au lit et pluie soudaine
Je me dis depuis des semaines que l'année a été un désastre de bout en bout. Puis je pense au ressac de son amitié floue, et c'est un réconfort. Le seul événement tendre et intime. Cet éclat me suffit, je renonce à ma rancune contre 2023.
Je compte les jours et sur un cou, un thé chaud, un dimanche gris. Je joue avec le chat, m'endors sous ses pattes expertes. Je ne me retourne pas sur mes pas. Et me tiens là.
Juste là.

• Le sommeil qui tricote mes fantaisies, thé de Noël et écrire un bois
J'écris à B. qu'il est dans des endroits doux du monde (je réalise, il y a quelques jours, j'ai rêvé flou de lui, chez lui ?, un large escalier, odeur de cire, je dors dans son canapé ferme d'avant, le vois me sourire entre mes cils), mange des chocolats et traîne accrochée à ma jambe gauche l'enfant rugissant de rire. Peinture sur les doigts, des cernes aussi quand je frotte mon visage. La fatigue est un anesthésiant. Viendra plus tard le moment où elle dépouille, mais plus tard sera en pyjama doux et soupe chaude, couette lourde et chat en rond.
Dans mes élaborations, un homme seul dans un bois. Je sens le froid, cette odeur piquante et neuve, cherche pourquoi et comment il est là. Je me demande si on peut se soustraire des hommes autrement qu'après la perte. Pourtant, j'aimerais écrire, j'aurais aimé écrire ?, des narrations différentes. Des choix, pas des conséquences. Des transgressions, l'animalité qui sauve, la réclusion qui n'est pas une punition qu'on s'inflige.
Mais je n'écris pas, je n'écris plus, plus "comme ça" depuis juillet. Juillet, mon cœur se serre d'une peine brutale tant j'y ai perdu. La création a été dans ce mois dévalé une souffrance insondable. Là, portant ces images, ces mots, ces fils à tirer, j'ai peur comme on a peur de l'eau après avoir échappé à la noyade. 
Peut-être, un pas après l'autre.
Comme l'homme traversant les bois, comme revenir de cette année, comme retrouver ce bras de mer qu'à nous deux.
Un pas après l'autre.
Une tendresse après l'autre.

L'odeur de ce thé, l'ami-chat qui fait des farces et l'arbre qui se déshabille
Au téléphone, ma mère. Défaire les mots sur mon crâne nu qui me troue le ventre, se montrer des puzzles et des thés.
Chez ma psychiatre, sortir mon petit carnet. J'y note les choses qui me tombent dessus et auxquelles je veux réfléchir, seule ou avec elle, avec le sentiment de dresser des contraventions. Ça me fait rire. Et ça m'achève d'avoir parfois l'impression de m'asseoir devant son bureau comme au service après-vente de la naissance.

Au bois

Le Thermos sent encore le café de vieux chemins parcourus. Y flotte désormais une eau tiède, infusion d'orties ramassées dans le matin, à mains nues.

L'homme marche d'un bon pas entre les arbres nus, il n'est plus en quête d'un vide illusoire. Où il n'y a rien, la nature œuvre. Ronces, mousse, champignons.
Le silence n'existe pas non plus. L'homme s'en est vite rendu compte.
Il a quitté les villes puis les campagnes, la mer grondante. Trouvé encore un bruit résiduel dans la forêt où il est tombé.
Mais celui-ci est supportable car d'aucun de ses semblables.
L'homme est. Sans identité. Il a perdu son prénom, la pensée et le rire. Les formules, les rites initiatiques. Ça a été l'ensauvagement de chacune de ses cellules, jusqu'à l'éviction de son prénom donc. Pas après avoir brûlé ses papiers dans le bûcher de ce qui l'alourdissait. Plutôt après avoir franchi ce fossé.

Il est, au tronc d'un chêne, se démêlant des racines.
Il est, à l'affût de l'animal à tuer. Au vent à guetter. A son potager désolé. Aux herbes du matin dans son bol ébréché.
Il n'a jamais été aussi humain que dans l'animalité de l'instinct souverain.
Il mange quand il a faim.
Il dort quand il a sommeil.
Il ne rêve pas.
Il ne règne pas.
Il est.

Funambule

Je m'accroche et m'applique à rester debout, garde haut le menton et ne quitte pas du regard l'horizon. J'apprends la patience. À être ici et maintenant.
Je tiens entre mes doigts avides quelques facilités. Des beautés qui font que mourir devient révoltant. Un poème qui tient du petit pull. Une allée du parc qui confond en douceur. Une soupe qui protège de la tempête.
Je m'agrippe.
J'échappe au gouffre.
J'apprivoise cette vulnérabilité. J'essaye, je tente, je tiens. Relâche mes muscles, desserre les dents. Libère l'oiseau encagé dans mes forges.
J'espère mer, corps qui tient le mien et pieds qu'on pose sur le chemin malgré l'opacité de la nuit. C'est une affaire sauvage de coeurs qui battent, d'eaux indomptables, de nids dans les branches. Je rêve de fermer les yeux dans cette étreinte qui protège, qui veille. Je rêve de fermer les yeux dans une protection, un abandon.

Le fil tangue à peine.
Après le funambulisme vient la magie.
Le ressac des bêtes dans les cerceaux en flammes.
La poussière des embruns sur les joues rougies par l'automne.

Notes dans des jours de novembre

Thé de Noël, finir un puzzle et lire au lit.
Des mots que j'écris et efface dans la foulée, le temps bleu et froid et sec espéré, mes efforts et les eaux claires.
Un été, j'ai posé mes affaires sur le bord de la route, et sauté dans la mer à mes pieds. Je longeais les remparts à brasses tranquilles, et c'était fou, cette baignade. Je n'avais jamais nagé dans une mer pareille. Une mer aussi haute, grosse et enveloppante.
Je n'avais jamais été portée comme ça.
Je suis remontée aux hommes en titubant, muscles tendus par l'effort et la peur de ce que j'imaginais une transgression, le sel doux sur mes lèvres et moi là, goûtée gouttante entre les touristes pressés, la robe qui colle à mes cuisses dans la sensualité de la fugue alors que tout était rigide et chronométré, petit train touristique, mères qui crient et pères qui croquent, ma peau salée de sauvage baignée dans l'immense.

L'attendre avec un thermos de thé, le parc désert et le réconfort du sommeil.
Je pense à B. en lisant des choses qu'il aimerait, en écrivant des choses que je déteste. C'est tout un paysage intime et émouvant, après les saisons balayées. Poésies bien qu'à lui, bras plein de coussins et parfum d'un thé au pognon. Je lis un gros roman en me brossant les dents et n'arrive pas à me réchauffer. Slowthai dans mes trajets, j'esquive des gens à la délicatesse de bœufs errants, et ça parle fort et colle et crie et touche et fait descendre du trottoir. J'ai pleuré du monde, changerai mes week-ends pour ne pas me noyer dans les bruits des dernières semaines avant les fêtes.

Faire rire, ciel insensé et chiens dans la rue.
J'ai tout effacé ici. Avant. Comme ça. Coup de pied dans le sable. Plus de dates, pas d'archives, aucun commentaire. Une brasse longue et silencieuse, qui délie. Je ne sais pas si c'est un virage, mais j'aime que le mot sonne avec rivage et courage.
Mes cheveux repoussent. Je les arrange à peine car, mes mains si froides et mes doigts bleus qui effleurent ma nuque, ça ne vaut pas le coup.
Je me souviens d'un soir où en arrivant au pub après le travail, W. avait pris mes mains entre les siennes pour les réchauffer, c'était doux, personne n'avait jamais fait ça pour moi. Personne ne l'a plus jamais fait, et ça me manque un peu. C'est comme m'endormir dans un canapé, me réveiller couverte et mon livre bien posé. Il y a la mémoire du corps. Les tendresses qui ne se disent pas mais se vivent fort, jusqu'aux bouts des doigts qui dansent entre deux paumes.

Jour de repos, froid du matin et chat drôle.
Je mange de la soupe midi et soir, me rattrape, me fais de la douceur sur des petites îles. Une heure de puzzle, dix minutes de dessin, une sieste. Je n'ai pas dit, bientôt mon anniversaire, vis comme ça dans l'hiver qui s'effleure. 
J'aimerais qu'on ne parle pas, qu'on s'enlace et délasse juste, dans un corps à cœur cousu de laine. Je crois que j'aimerais tout résumer et dessiner en une étreinte, et ce serait merveilleux, entendre je t'aime sans une seule lettre, lèvres chaudes sur l'oreille. Un baiser y tomberait et ferait pousser un bouquet de forget-me-not. Je sais me retenir sur les rochers mais j'aimerais sur mon front un peu froissé le panse-temps d'un bisou magique.

Lire au parc avec du thé, ciel bleu et des pies qui font du petit bazar
J'ai ri en redécouvrant un dessin de mon amie A. Assise avec son fils, elle lui montre dans un livre la Terre :
"Tu vois, c'est là qu'on habite.
- Pfff, n'importe quoi, on habite à côté de l'église nous !"
J'ai emmené ce rire manger de la soupe dans mon midi mal fichu, chaque hémisphère de ma petite personne pas si petite connaissant une douleur. Poignet droit, cheville gauche, genou droit, vague migraine, dos tendu, rien de terrassant mais rien de bien marrant, si ce n'est que certains bobos s'expliquent par mes heures de puzzle sur le sol froid du petit salon. Alors le rire plonge le nez dans son bol de soupe, et regarde les bureaux pliables sur internet.

• Commencer un nouveau puzzle, découvrir un auteur et guetter la neige
2023, je piège des arbres et dîne chaque soir en pyjama : bienvenue à la maison de retraite des madeleines radicalisées.
J'ai fait un petit soir très petit doux, tasse de thé vite en rentrant du travail, pour ranimer mes fossettes. J'ai encore mangé de la soupe, encore fait du puzzle, encore joué avec le chat, encore aimé être seule et dentellée de petits trésors qu'à moi. L'année est trop difficile pour museler mes élans : je me love sous la nuit, fais silence et monde intime bien lointain.

• Mots qui font tout, chat mignon dans la rue et bricolages de Noël
J'ai fait un rêve avec : des CRS, le budget de l'État et les sous-sols de la DGSI. Ça m'a fait une petite nuit, puis une grosse journée. Mais j'avais de la place dedans pour boire plein de café et de thé, imaginer mes prochaines solitudes et faire des féeries sur les flocons. Mon amie C. m'a envoyé des petits puzzles, je les guette déjà. Je fais de l'ornithologie avec le chat, cherche une histoire dans les nuages. 

Bisou

Je t'écris un bisou et tu en fais bien ce que tu veux. Tu peux le poser où tu veux, dans la boîte à gants de la voiture, ton sac à malices ou tes jours sans fantaisie. Ou dans les poils du chat, mais t'as pas de chat, alors dans ta poche ou bien dans ton cou, comme tu veux, vraiment, je l'ai pris comme ça exprès, en dodu doudou. Dans la poche, c'est bien, c'est à un RonRonnement de pRoche, puis c'est un bisou fait le nez frais, alors...

Bien sûr, il est échangeable.

Bagarre

Petite, je saignais souvent du nez. Une timidité, un ballon dans le visage, l'eau chlorée ou un matin brouillon, et je sentais un filet tiède éclore et tomber jusqu'à mes lèvres, mon tee-shirt et mon embarras. Je ceuillais mon sang de mes mains, appuyais mes doigts contre mes narines, très fort, juste sous l'os. Je le veillais en tenant mon menton dressé au ciel, sentais la chaleur dévaler ma gorge et révolter mon estomac. Je pissais le sang et ce n'était rien, juste un échantillon de la violence qui ne se dit pas. 
Déjà je saignais sans combat.

Ressac

Parfois tu me manques,
Et d'autres fois, je ne sais plus.
Plus trop.
C'est comme le ressac dans le métro,
Passé janvier, c'est oublié.
Passé des corps et des pas,
Ça ne me manque pas.
Passé l'effort, chaque flaque où je te crois,
Non, tu ne me manques pas.

(sans titre)

Je connais l'odeur de l'abandon.
Elle a celle du cou d'un garçon, celle de l'avant-bras d'un homme. Elle a celle de la salle de bain embuée après des ablutions, celle d'une ville d'hiver embrumée après la folie douce, celle de mes parcelles embrassées.
Je respire, et ça me revient aussi, alors j'aimerais le corps suspendu comme les jardins tokyoïtes. J'aimerais le corps, mon corps de petites branches aux bourgeons tendres, fossilisé en un instant, incapable d'identifier une odeur, incapable de me rappeler la douceur, incapable de me laisser sentir la solitude des fureurs sans terreau.

Le traité

Je me demande si tu aimes encore la mer en hiver, la pluie quand tu es au sec, trouver de la monnaie dans une poche et une boulangerie sur le chemin.
Je me demande si tu aimes encore qu'on t'embrasse là, juste là, non ne le dis pas, si tu repenses à des bras autour de ton buste et à des mains à saisir, caresser, serrer, baiser et chérir.
Je me demande si tu aimes encore la saine fatigue après la longue marche, la course de doigts sur tes côtes, la peine du beau passé mal regardé.
Je me demande, si ta nuit, tes saisons, si tu penses aux oiseaux la nuit et à l'océan perdu, si tu guettes tes pieds et le goût de la terre après la pluie.
Je me demande si tu m'aimes encore un peu, moi, juste un peu, et demande si tu ne m'as jamais aimée. Je me demande si les autres, encore plus, encore fort.

Je me demande si ton coeur s'emballe encore quand vient la fin de tes films, ceux où on pleure dans des langues inconnues et des paysages verts et gris d'autres pluies.

Je me demande si la paix, la paix instaurée entre nous deux, la paix qu'on fait parce qu'on ne s'aime pas assez pour se détester, je me demande si la paix va résister.
Je me demande si la paix va résister à mon cœur qui bat de l'existence du tien, mon coeur qui bat du simple fait que tu vis encore, que tu vis toujours, en corps et en coeur, même loin, même trop. Je te sens, j'en bats, ta voix trop forte et tes mots plus encore, ta cour et moi à tes pieds. Je détricote, enlève l'épingle, ça pique de toi, les dessins comme ça.
Je me demande, si ma folie résistera au temps, si ma folie résistera aux mains, aux gants, aux blancs des murs et aux mots sans figure.
Je me demande, non, je sais, ce n'est que la tienne que je voudrais. Ta figure, même pâle et triste, ta figure à saisir, caresser, serrer, baiser et chérir. 

Hiver demain

Ce matin, dans ma main était gravé un petit hiver. Tout petit, un peu gris, il soufflait les nuages et grinçait du verglas.
Je l'ai bu avec un fou, un fou serré, saoul ferré, un truc sucré qui assomme et dépouille.

(sans titre)

Il y a le vieux monsieur de l'immeuble d'en face, figé avec son chien devant les travaux de la voirie. Je crois que c'est parce que dans leur enfance il n'y avait pas de pelleteuse que les petits vieux endossent désormais le rôle d'observateurs bien volontairement.

Et moi je les vois.
Les immeubles qui se montent en un clin d'oeil de passants paresseux, de promeneurs négligents.
Les routes creusées comme des milliers de tombeaux, mystérieux tuyaux et passages secrets que je me rêve.
De l'autre côté des grilles, il y en a toujours un. Il a une casquette ou un pantalon en velours, déjà le pain et parfois un chien.
Un petit vieux qui regarde cette grande affaire, les ouvriers.
A 16 heures 30, il ne sera pas là mais il y aura son homologue en poussette, qui mange des madeleines et regarde avec la même application l'élévation de l'urbain jusqu'au ciel, Icare en tenue de chantier dans la grue jaune.

Enfance

Je porte parfois l'enfance sur mes épaules, sens ses petits mollets ronds et doux sous mes doigts.

Je garde encore cette main qui grandit vite dans la mienne.
On traverse bien au vert, rallonge les goûters les jours sans devoirs.
On fait des crêpes et des chansons.
Elle apprend et pousse vers le ciel.
Devient trop lourde entre mes bras.

Je porte parfois l'enfance sur mes épaules.
Je ne sais pas si c'est la mienne.
Celle pas eue, celle pas donnée.
Je ne sais pas comment la border.
Corps endormi qu'on met au lit, depuis la voiture qui refroidit après le trajet dans la campagne noire, depuis le film qui s'évapore dans le salon devenu si étrange, comme ça, quitté sans cri, pipi les dents au lit j'ai dit.
Ventre et canapé désertés dans un dimanche veille de rentrée,
Le lit est fait.
L'enfant absent.

(sans titre)

Ce qui tord le ventre c'est l'espace entre deux corps,
Des mains qui dansent au dos de l'hiver argent
Puis essorent les nuages,
Écouter un cœur comme on écoute à travers une porte,
Sentir un cou,
L'embrasser comme un bras de mer,
Je fais le gros dos,
Comme au fin fond d'un novembre qui mange la lumière
J'ai mal à un endroit qui n'existe pas.
Je fais des poèmes comme des cailloux.
Sur un petit chemin, contre l'horizon
Je bande ma cheville.

La conteuse

Je lui ai raconté, 
Le ciel bleu, quatre virgules, un grain de beauté, l'empreinte du vent sur le sable et combien un horizon me manque.
Je lui ai raconté,
Les soirs d'été, trois accents, l'odeur de son corps après la nuit. 
Je lui ai raconté...
Le froid parfois, trois petits points, au cœur au corps, encore encore.

Broderie en Desnos

Quand je ferme les yeux et m'étends, il y a toi. Je repense à ces visages sans bouches et ces corps sans noms, les ombres du temps maudit, le goût et l'essence de l'effroi. J'ai peur avec et sans toi, j'ai peur autant que ça mais je préfère quand tu y es, dans mon ventre noué et mon dos peiné.
Il y a toi la nuit, le jour aussi, c'est sans point final, sans mot connu, c'est lointain perdu et temps suspendu. 
Il y a toi, je t'attends parfois sous mes paupières, je t'entends et m'endors déjà, mais des baisers et le réverbère, l'arbre à abattre et les hommes tombés avec l'automne, je reviens. 
Il y a toi, et même sans mes lèvres je t'embrasse, c'est comme ça, comme ça que je reviens, sans les visages et les corps et encore.

3 heures 28

Est-ce que les endroits de mon corps que je ne peux pas toucher sont à moi,
est-ce que les heures que je ne vois pas,
Est-ce que tout ça existe vraiment,
Mais si ça peut tomber, disparaître,
Alors il faut se remettre de ce qu'on ne sait pas avoir,
Il faut que je me remette de mes grains de beauté jamais vus et de ces 3 heures 28 jamais vécues.

Bête

J'ai vu le jour chasser le monstre,
Mordu ma langue et lâché les chevaux. 

Prends mon cœur, je n'y suis pas.
Je cours le bois, la langue pendante,
Sens mon sang et vole le chemin,
Mords le cuir, et mort le bois, 
Avec ces dents, tout passera.

Chut(e)

Entre la chute et le silence il n'y a qu'une march(e), cette lettr(e), le facteur n'est pas passé, il ne passera jamais,
Lundi 
Mardi
Mercredi 
Jeudi
Vendredi 
Samedi 
Dimanche, latence.

(sans titre)

La bouilloire s'ébroue sur le feu.
Les mains glacées, j'ai réussi.
A me lever laver relever du détricot brutal des heures,
Me remettre du bruit des mains des autres qui tapent dans mes vitres.
Revenir.
J'ai béni mes bête avant de les sacrifier, soufflé sur les genoux de mes maladresses, imaginé ses mains de la saison neuve essuyer mes joues de bien mal tombée, sur le bitume et dans son calendrier.

Penn ar bed ha eon.

"Il y a trois sortes d'hommes : les Vivants, les Morts, et ceux qui vont sur la mer"

Aristote