Au bord

J'ai parlé à J. de ce tremblement qui rôde, de la généalogie, de l'impression d'être dans un entre-deux presque confortable. De m'approcher de l'issue. De ce que ça a soulevé en moi, de savoir par exemple qu'il y aura des adresses, alors qu'on a aussi Google Maps, Internet, et le feu des gouffres muselés tant d'années.
Je lui ai dit, les visages.
Je lui ai dit, "Et si il est vivant, est-ce qu'il m'aurait aimée ?"
On a partagé nos vagues. Elle aussi en vit, des branches qui tapent. On ne s'est pas dit de féeries, on se sait.
La nuit après notre conversation, j'ai fait des cauchemars. Bazar de train, long voyage. Puis comme ça, incompréhensible, mon chat adoré blessé, nez crotté de sang.
Je suis allée nager le midi, hantée. Petite envie de pleurer sur le tout aussi petit trajet. J'ai écouté mon cœur taper dans le couloir de nage, se pincer parfois des femmes enceintes, je tremblais jusque là dans mon sang.
Je ne sens pourtant pas de murs se refermer sur moi.
Je fais ma vie, mais je tourne autour de certaines questions. Je me suis même imaginée me planquer dans une rue, si, si... Si. Si je regarde, sur Google Maps, est-ce que c'est alimenter ma cavale, ce besoin qui m'effraie de vouloir plus plus plus plus ? Mais si je me l'interdis, est-ce que ça ne va pas absolument rien empêcher du vent ? Est-ce que savoir, c'est prendre le pouvoir sur tout ça ? Mais savoir quoi, puis ce tout n'est-il pas qu'illusoire, indéfinissable ? Et comment fermer la porte, guérir, ne pas me raconter d'autres scenarii ? Après, comment faire retomber le vent ? Puis elle, si elle est morte, alors,
Mais je fais ma vie.
Voilà.
Je sais déjà qu'il y aura lui, le messager tranquille et sa mine, en garde-fou avisé qui sait, mes grains de beauté et mes grains de pluie, bras enveloppants qui domptent le moindre nuage. Je sais que j'ai le couloir de nage, le chat adoré, mes amies douces et ces jours simples, qu'à moi, le temps de m'allonger en attendant la fin de l'orage, des bras où trembler du tonnerre, où renaître dans l'odeur d'une terre qu'à moi. D'une terre choisie.

Je n'ai jamais rien fait d'aussi grand.
D'aussi secret.
D'aussi radical.
Immense.

"C'est désagréable de grandir avec un trou dans son arbre. La désertion filiale est une lutte quotidienne, que seule la peur rend possible."
Diglee, dans Atteindre l'aube, phrase pêchée à la librairie.