Notes dans des jours de décembre

Marie-Aude Murail à la radio, puzzle et chien en sweat.
Une variation de la convalescence. Bouilloire toujours tiède. Lunettes qui glissent de mon nez. Je reprends des forces sans savoir pour quoi, ni après quoi. Suis-je d'ailleurs après ? Le chat dort lourdement entre mes bras, je dérive tranquillement et me réconforte dans nos sommeils. Je ne vois pas la fin de nos films quotidiens.

Son corps de brave matou contre mon dos, la pluie et France Culture dans la cuisine.
J'essaie de tromper la douleur, pourtant je me retiens parfois aux meubles et à une minute. C'est depuis plus difficile de trouver des choses douces, de me réconforter. J'oublie de respirer quand je découvre que je peux de nouveau me déplier, mais je m'occupe gentiment. Puzzle et livre, la radio, plein de thé. Je compte. Avale un comprimé. Attends sagement.

Teckels en petits manteaux, sieste sous le chat et gentillesses bouleversantes.
Quelques jours au fond du puits.
A passer de la souffrance intense à l'anesthésie.
L'impression d'avoir le visage cassé, quand je tombe en moi.
Découvrir mon crâne par endroits si nu, ça me ruine le cœur. Me surprendre, "répugnant". Je n'utilise même pas ce mot pour décrire un déchet dans une ruelle.
Je reviens doucement, une heure plus facile après l'autre. J'espère, mains qui dénouent, bras qui ramassent, corps qui enlace.
Des choses me serrent le cœur et tricotent dans mon ventre. Je peux à peine les identifier mais je les imagine s'enrouler autour de ma colonne vertébrale, tuteurer les ombres et les mener vers la sortie du bois. Ça va du petit dealer devant l'épicerie, café et pain d'épices dans la main, aux affaires pressées des moineaux. Magies douces à peine visibles des hommes, je me love contre elles et m'enveloppe.

Dormir longtemps, marcher dans les feuilles et rentrer pour le thé
On m'offre plein de cadeaux en ce moment, trop, beaucoup trop, je ne mérite rien de tout ça et je ne suis pas sûre de remercier comme il faudrait. J'arrive à peine à lire les petites cartes qui les accompagnent. J'aimerais raisonner les gens qui m'aiment.

"Je suis tout le temps content de vous croiser", lire au lit et pluie soudaine
Je me dis depuis des semaines que l'année a été un désastre de bout en bout. Puis je pense au ressac de son amitié floue, et c'est un réconfort. Le seul événement tendre et intime. Cet éclat me suffit, je renonce à ma rancune contre 2023.
Je compte les jours et sur un cou, un thé chaud, un dimanche gris. Je joue avec le chat, m'endors sous ses pattes expertes. Je ne me retourne pas sur mes pas. Et me tiens là.
Juste là.

• Le sommeil qui tricote mes fantaisies, thé de Noël et écrire un bois
J'écris à B. qu'il est dans des endroits doux du monde (je réalise, il y a quelques jours, j'ai rêvé flou de lui, chez lui ?, un large escalier, odeur de cire, je dors dans son canapé ferme d'avant, le vois me sourire entre mes cils), mange des chocolats et traîne accrochée à ma jambe gauche l'enfant rugissant de rire. Peinture sur les doigts, des cernes aussi quand je frotte mon visage. La fatigue est un anesthésiant. Viendra plus tard le moment où elle dépouille, mais plus tard sera en pyjama doux et soupe chaude, couette lourde et chat en rond.
Dans mes élaborations, un homme seul dans un bois. Je sens le froid, cette odeur piquante et neuve, cherche pourquoi et comment il est là. Je me demande si on peut se soustraire des hommes autrement qu'après la perte. Pourtant, j'aimerais écrire, j'aurais aimé écrire ?, des narrations différentes. Des choix, pas des conséquences. Des transgressions, l'animalité qui sauve, la réclusion qui n'est pas une punition qu'on s'inflige.
Mais je n'écris pas, je n'écris plus, plus "comme ça" depuis juillet. Juillet, mon cœur se serre d'une peine brutale tant j'y ai perdu. La création a été dans ce mois dévalé une souffrance insondable. Là, portant ces images, ces mots, ces fils à tirer, j'ai peur comme on a peur de l'eau après avoir échappé à la noyade. 
Peut-être, un pas après l'autre.
Comme l'homme traversant les bois, comme revenir de cette année, comme retrouver ce bras de mer qu'à nous deux.
Un pas après l'autre.
Une tendresse après l'autre.

L'odeur de ce thé, l'ami-chat qui fait des farces et l'arbre qui se déshabille
Au téléphone, ma mère. Défaire les mots sur mon crâne nu qui me troue le ventre, se montrer des puzzles et des thés.
Chez ma psychiatre, sortir mon petit carnet. J'y note les choses qui me tombent dessus et auxquelles je veux réfléchir, seule ou avec elle, avec le sentiment de dresser des contraventions. Ça me fait rire. Et ça m'achève d'avoir parfois l'impression de m'asseoir devant son bureau comme au service après-vente de la naissance.