J'ai nagé sous un ciel bleu réjouissant, j'ai nagé avec les muscles de mon dos courbaturés, mon souffle ample et mes rêveries. J'ai regardé le soleil marbrer le fond de la piscine. J'ai loué ma rigueur, ma discipline, dans ces heures de natation, d'exercices, de plongées anatomiques.
Peau déjà bronzée. Marques du maillot. Dans mes onglets Internet, d'autres palmes, des bonnets de bain sans une once de discrétion. Des exercices pour le crawl. Cercle vertueux, je me tourne vers la course, pratique un Pilates fait de rigueur et de précision, multiplie les entraînements divers comme on conjure de mauvais sorts
Et partout, ce qui fait survie.
Battements.
Mouvement.
J'ai recommencé à nager pour ne jamais lâcher le bord des heures. Pour la régularité dans l'enchaînement des longueurs, des respirations.
J'embrasse le ciel bleu en cherchant son reflet sous mes brasses.
Je tiens au chlore comme à une fiole d'antidote.

(sans titre)

Je dors si mal, je dors si mal, je me tiens à la veille, je tempête, emmêle mes cheveux à me tourner et me retourner, empêtre mes pieds dans les pans du jour fini, du jour que je retiens par la manche, une minute encore, une petite avant la mort.
Sois la main qui apaise et immobilise, lèche mon ventre et fais-y germer la paix d'une journée bien vécue, quittée repue et sans regrets. Laissons s'abreuver dans l'exact espace entre ta langue et ma peau les oiseaux de minuit, les rêveries sans féerie, le petit feu de tes doigts qui dévalent hanches, os et inventaire tatoué, peau brûlée, muscles éprouvés, nuage brûlé.
Caresse mon dos en une comptine, comme on apaiserait la rage d'un enfant des bois.
Embrasse mes paupières, cloue-les, borde-moi d'un foyer tiède.
Abandonne-moi au sommeil, fais-moi déesse d'un culte païen et obscène, nudité claire et rite obscur.
Laisse-moi dormir contre toi.
Emmêle mes doigts à tes poils, tes cils aux miens, dormons de la fièvre des fugueurs célestes.

Et comme ça

Sans trop croire en moi, sans m'aimer beaucoup plus, sans aimer ce que je fais beaucoup plus, sans grande confiance en mes talents, je me suis jetée là.

J'ai eu envie d'écrire à B. à midi, en terminant, un "Ça y est" joyeux et plein de détails, car lui qui cherche mon nom toutes ces années sans se voir, mon nom qu'il espère en librairie, lui qui croit en moi et m'aime comme ça, radicalement. Lui. Comment je peux parfois en douter... Il sait mes yeux brillants sans même me voir. De mon premier roman, je me suis imaginée lui en envoyer l'ISBN, glisser son prénom dans une genèse, quand le texte a tourné entre des mains expertes et volontaires. Il y a dans ces pages des choses que je lui dois, le job d'un personnage, emprunté à un de ses emplois d'étudiant. Je me souviens un matin quitter son appartement, lui tout frais, au boulot, zou, stylo entre les lèvres il me parle et me fait sourire. Il est dans une dimension plus intime et complexe de l'écriture, ailleurs aussi, dans ma vie pas brûlée. Il sait. Tout. Je lui laisse la surprise d'une visite ici ou dans mon terrier. J'ai mal au ventre de joie à l'idée de son enthousiasme.

J'ai fait des petits mots aux amies douces, changé d'avis, eu mal au ventre, leur dis dès qu'un nouveau message arrive. Elles sont ces amies qui crient de joie quand je formule que "J'aimerais bien faire...", m'écoutent avant même que je n'ouvre la bouche, envoient compliments et merveilles, enveloppent de mille prodiges. Souvent, je pense à la Mathilde enfant, adolescente, se sentant tellement loin. Si elle savait que de telles amies l'attendaient à la trentaine... Ceci dit, toujours en parallèle, je n'en reviens pas. Ces amies-là... Ces amies-là.

Je vais gagner de l'argent avec des mots de moi. Je lance une newsletter payante et oh, des gens s'y abonnent déjà. Ça s'appelle Tant qu'il nous reste des dimanches, ce sera mélancolique comme "Ça Cartoon" sur la 4, les beautés murmurées dans la nuit, l'odeur d'un cou inchangée, mes bras chlorés de loutre véloce, mes espoirs pour les lendemains. Ce sont des jours et leurs trésors, la poésie en laquelle on croit sans faille, puisque tant qu'il reste des dimanches...

Ces derniers jours, je nage dehors. J'écris des poèmes en pensant à cet éditeur. Je sens mes muscles et mon sang paître dans un avril si lent, nous sommes le 8 du mois, ressenti 72, et ce lundi a un goût de fond d'évier. Je me jette à l'air au moindre ciel bleu. J'ai mal à la tête puis je bois des orties. J'ai vu un chien géant, des plans de travail qui donnent envie de se faire déglinguer dessus et donc découvert le pouvoir érotique de Leroy Merlin. Ça va dans mon herbier d'effleurements rêvés, avec notamment mes envies d'être embrassée jusqu'au typhon dans le petit recoin au pied des escaliers et d'être voulue sur mon petit paillasson, endroit parfait où frissonner de désir, mal cachés des voisins. J'ai pris un bus qui secoue, une voiture de riches et un caddie bleu. J'ai acheté du pak choï et un bac à glaçons en forme de têtes de chat.

Ces derniers jours, je me tricote aussi du pouvoir indéfinissable du flirt poétique et de l'étreinte. J'espère parfois étoffer cette vingtaine, l'effusion estivale trop tôt bouclée, l'exploration inachevée, les audaces muselées, ce sans sérieux et plein de tendresse, à mille lieux des autres formes de parades. Un relevé topographique de la douceur. Son corps reste mystérieux, malgré les ébauches de débauches précédentes, a-t-il un soupir au bout des doigts, un grain de beauté entre les côtes, son souffle qui si je murmure que, quel feu naît si je guide ses doigts et sa langue, descend mes mains et, quel est le goût de sa peau, de sa clavicule.
J'aimerais dans la chaleur être contenue.
Je me demande comment font les pissenlits. A gigoter comme ça dans le vent, c'est à en oublier d'être né.


[J'ai eu ce fameux petit flottement à la publication de ce billet. Si il lit... Eh bien si il lit, déjà, quel honneur. Il m'a écrit un jour, "Je ne lis plus depuis toi", ça me fait encore rougir. Donc. Si il lit... Eh bien rien. C'est lui, puis moi, deux crapules aux frontières. A nos dernières heures dans ma cour, nos mots sur le sexe et nos yeux qui se cherchent, évaluent nos cils et les mots qui éclatent à nos lèvres. En refermant la porte, je l'ai entrevu se retourner, chercher à croiser mon regard. Je n'ai pas suspendu mon geste, il était pourtant là, son sourire, l'inclinaison de sa tête. Parfois, je suis une patate aux bras ballants. Écrire ça ici, malgré le fait que oui, il le lit peut-être, sûrement même, et c'est beau, car il est aussi là, son amour, et aussi sûr que ça, c'est relever mon regard de la poignée, trouver ses yeux et cet espace libre, ce désir, nous l'offrir comme une nouvelle marée, encore, s'encanailler dans un jeu sensuel sans danger, étreindre la possibilité des nuages brûlés. C'est lui donc, pas le PDG de Leroy Merlin, pardon monsieur mais c'est vrai que vos grosses planches là, bon sang, alors mes amies et moi sommes formelles, ça vient de l'épaisseur, du fait que laissées là en rayon sans rien, c'est prometteur, c'est... Pour ma part, j'ai une paillasse ridicule et froide aux fesses, super... Non, vraiment, osez une communication sur la libido, vous allez voir le chiffre d'affaires exploser, le nombre de visites, n'en parlons pas, agrandissez vos parkings)

Maintenant que mes règles se terminent, je m'interroge.
J'ai passé un tiers du mois de mars sous l'eau. A me sentir seule au monde puis ensevelie sous les gens, à cauchemarder, pleurer, être en colère, me sentir disparaître, me dire que ma vie est honteuse, que j'ai un problème, que je suis un problème, que B. ne m'aime pas, qu'on ne se reverra plus et mille autres choses illogiques s'engouffrant dans le moindre espace du flou pourtant salvateur en temps normal, que je suis pour mes amies aussi utiles qu'une planche à repasser les lacets et qu'elles n'ont pas besoin de moi, que je les fatigue à babiller et parler et rire et tomber alors qu'on s'aime au point de se faire un tatouage de gang sur la cuisse et traverser ensemble les horreurs, que les gens ne m'aiment pas mais me tolèrent, que je pourrais bien mourir car à quoi bon.
Avec un supplément insomnies, nausées, maux de tête, sueurs, crampes, douleurs, petits malaises.
Donc oui, je m'interroge, maintenant que je me retrouve, à rêver tranquille et me remettre, comment me tenir au jour ?
La médecine ne me propose que des choses qui ne me conviennent pas. Le soulagement chimique, j'en suis revenue. Il s'agit de rendre une patiente fonctionnelle, et pas existante. Effectivement, sous antidépresseurs, ça va mieux, mais tout simplement car je ne suis plus là. Je suis fonctionnelle, je travaille, ne meurs pas. Mais je n'existe pas. Et le reste du mois, ça va, je m'en sors très bien, je n'ai pas de symptômes dépressifs, je vis ma vie, je suis bien, alors pourquoi reprendre un traitement pareil. Il y a aussi la pilule, cocktail exquis dont on connait désormais les multiples bienfaits, mais outre l'envie plutôt moyenne de me bombarder d'hormones, je refuse de vivre de nouveau une sexualité où j'endosse la charge contraceptive. Je n'ai pas de partenaire régulier, pas voulu vivre de nouvelles séductions depuis le printemps dernier, lassée de ces échanges avec des inconnus qui attendent forcément des choses de moi, puis il y avait lui et la fugue plus jolie, le chemin planqué. Ces hommes, il me faut les rencontrer, les attirer, les écouter, les laisser m'évaluer, entrer dans ma vie et la juger, me pâmer, me faire douce, puis ne pas jouir, et surtout ne pas avoir de la tendresse dans du sexe sans attente, la fantaisie, la poésie des échanges, des entrevues. Ne pas être vue, être récréative. Bref, ciao Tinder, je n'y allais d'ailleurs pas pour me sentir séduisante mais pour me sentir normale, bon..., et donc non, pas la pilule, car quand j'étais dans ce schéma de relations, je m'accrochais à ça pour imposer le préservatif. A nos grands âges, ça n'allait toujours pas de soi. Dire que je ne prenais pas la pilule me faisait parfois passer pour une petite irresponsable (j'ai couché avec des prix Nobel, oui), mais ça rendait le préservatif obligatoire pour une autre raison que la fertilité permanente de l'homme. Je voulais un amant, pas un projet éducatif, ne tenais donc pas spécialement à remettre ma culotte avant de me lancer dans un discours de vilaine féministe éco-terroriste radicalisée. Et dans tout ça, dans ce contexte, on me dit "Vous ne voulez vraiment pas reprendre la pilule ?", lourd soupir et ordonnance déjà en main, puis rien, mon vide et chaque mois la peur de revivre ça.
Je ne suis pas la seule, une amie m'a dit qu'elle aussi, elle se faisait toujours avoir, avait envie de se foutre sous un train et réalisait ensuite que ses règles arrivaient.
Alors on s'y penche encore : comment me tenir au jour ?
J'ai dépensé 130 euros de produits pharmaceutiques pour trois cycles menstruels. Aucun remboursement possible, et ça ne compte bien sûr pas les lessives de protections hygiéniques lavables, les antidouleurs, les bocaux de soupe car plus la force de rien, les séances de natation que je me discipline à faire aussi pour ça, pour ces dix ou douze jours difficiles, presque invivables. Et ça ne chiffre pas, la douleur, l'impression de sombrer.
J'ai 33 ans et je dois apprendre à gérer ça seule car la science ne s'intéresse pas aux femmes. Ça ne fait que quelques années que les protections hygiéniques conventionnelles sont testées avec du vrai sang : avant que le syndrome prémenstruel soit géré et remboursé, j'ai le temps de souffrir encore un moment, et de gérer ça seule et sans beaucoup d'argent, ce qui élève encore le défi.
Me tenir au jour donc. Je réfléchis. Noter désormais plus scrupuleusement la phase lutéale et ce fumier de SPM. Dire à B. qu'il peut me souffler quand je vais mal que peut-être, les hormones, ça a déjà rendu deux moments ensemble pas super marrants. Me mettre des mémos ici et là. Tenir à jour mon traitement. Refaire une commande de comprimés. Regarder les effets. Surveiller mon cycle.
Mais voilà.
Comment se tenir au jour...
On n'aura pas de congés menstruels, aucun remboursement, mal partout, mais il faudra bien sourire au monsieur qui nous dévisage dans la rue, sinon il murmura "Mal baisée".
On aura le sang et le chagrin, mais faudra bien aller au travail, puis être polie et bien gentille, mal payée, bien taire la souffrance.
Comment se tenir au jour...
Je ne sais pas.
Je vais me tenir à celui-ci. Noter mes prochaines règles. Avaler des magies. Étendre mes serviettes sur la corde à linge. Entrer en convalescence.
Nager, me lover contre l'idée de mon corps qui vit. Me lover dans les strates de palpitations, de désirs, de muscles éprouvés et de soupirs éraillés. Me rassurer du simple fait que mon corps est parfois une souffrance sans remède mais connait aussi le repos, la caresse et l'orgasme. M'autoriser à écrire tout ça, journal de bord des débordements, tout ce quotidien précis qui me semble si trivial et sans poésie, car écrire c'est gagner, m'emparer, c'est ainsi rencontrer les cœurs et les corps, des identités abstraites et d'autres plus certaines, B. et ses compliments radicaux, des solitudes et des incompris. Cet amoureux passé m'a dit, "Tu pourrais écrire ta liste de courses que ce serait passionnant", alors écrire mon sang. Écrire, et être victorieuse des jours tombés. Nager donc, et écrire : je peux aussi garder pied en poussant simplement mes orteils contre le mur de la piscine, me propulser, encore et encore et encore, entre les lignes et les dactylographies. 

(Sans titre)

Et si tout passe, comme les nuages,
Ça passera la noyade devant le dénouement,
Les mains qui tortillent et torturent le petit tas d'heurts, midi brûle et pas de soleil.
Si tout passe, comme les nuages,
Je m'écris un refuge entre mes doigts, un endroit où pleurer laid, un endroit où tomber sur,
Je m'écris le hoquet de larmes et l'étourdissement.

J'ai désormais des préoccupations de nageuse.
Les ongles abîmés par le chlore, la peau desséchée, alors les huiles, les baumes et les prières. En pétrissant mon corps, je remarque. Les biceps dessinés, les cuisses musclées. Les épaules, droites.
Mes cheveux, en pleine transition vers un shampooing solide, sont de vagues colocataires. On pourra discuter quand ils auront fini leur caprice.
Il y a aussi mon historique YouTube qui analyse crawl et battements entre deux vidéos de Pilates et de yoga, celui de Google qui ne me répond pas sur la question de l'écran solaire pour nager dehors. Dans le doute, je vais rajouter une crème waterproof à mes affaires, quand le printemps viendra enfin. C'est toute une intendance, sac de sport à faire et défaire, linge qui sèche, cycle sans fin. J'ai acheté deux maillots de sportive et des serviettes en microfibre, j'ai une gourde avec des requins et des palmes roses.
Si je suis toujours la loutre la plus tatouée du bassin, je suis aussi celle qui attire les admirations en utilisant la douche froide. Je suis celle qui nage le plus longtemps et sans m'arrêter un instant, ça agace certains hommes, ceux qui doublent comme des cochons et font mumuse avec leurs montres connectées.
J'ai deux piscines maintenant, le bassin nordique un peu loin et celui couvert juste à côté. Je suis aussi en train de passer de deux heures hebdomadaires à trois, avec l'envie de passer à quatre, déjà.
Loutre véloce, toujours chlorée, souvent courbaturée.

Vivement que je me remette à la course à pied, histoire de diversifier l'inventaire de ma corde à linge.